samedi 22 octobre 2011

Stop ! Retour sur des spots plutôt top pour inciter à aller voter en Tunisie



"Au soleil, la vie est belle / Y a pas de pluie, plus de Ben Ali". Voilà les premières paroles de l'Avenue Bourguiba, une chanson imaginée par Noman Hosni, un humoriste français d'origine tunisienne. La parodie d' "Aux Champs Elysées", célèbre chanson de Joe Dassin, est plutôt réussie. De quoi rappeler aux Tunisiens que ce week-end se déroulent les élections les plus importantes de leur histoire, un vote pour désigner la future Assemblée constituante qui fixera les contours du futur régime. 

Pour cette date historique, l’association "Engagement Citoyen" a fait appel à Memac Ogilvy Tunisie pour inciter les citoyens à aller voter. Bonne pioche ! Les créatifs de l'agence de pub ont trouvé une idée originale un brin provoc qui a fait le buzz : une caméra cachée citoyenne. Ils ont installé un  gigantesque portrait de Ben Ali dans le centre ville de La Goulette, une affiche ambigüe laissant entendre que l'ancien chef d' Etat pourrait revenir aux affaires et ils ont filmé les réactions des passants. Un temps médusés, les piétons réunis au pied du mur décident au bout d'une demi-heure de retirer cette image qu'ils pensaient reléguée aux oubliettes. Ils tirent un grand coup dessus, et surprise-surprise, ils découvrent avec stupéfaction un immense slogan les invitant à se rendre aux urnes à la fin du mois et tourner définitivement le dos à l'ancien régime. "Attention, la dictature peut revenir, allez voter le 23 octobre !" Les images aussitôt montées sont mises en ligne et en quelques jours la vidéo apparaît en tête des séquences les plus vues sur les sites de partage.


 

 Les réseaux sociaux ont été des outils privilégiés de la mobilisation des militants lors du printemps arabe. Pendant plus d'un mois, les jeunes se sont donnés rendez-vous pour manifester via Facebook. Un cinquième de la population seulement a un compte mais le bouche-à-oreille, et le téléphone arabe, fonctionnant à plein en Tunisie, les messages politiques passent encore par ce biais. Ces dernières semaines, les observateurs ont vu apparaître de nombreux sites pour se repérer dans la jungle des partis en lice. Il existe même un site où les citoyens peuvent donner leurs avis sur la rédaction des articles de la future constitution.
 Mais un des enjeux de la prochaine consultation est la participation des femmes. Dans ce pays, un brin machiste, où les femmes sont souvent brimées, bridées par les hommes, un collectif a choisi lui aussi la communication virale pour pousser ces dernières à voter. Avec un spot étonnant où l'on entend une jeune fille parler avec une voix rauque d'homme et des propos rétrogrades, des clichés misogynes du  style "les femmes sont faites pour rester à cuisine". Le contraste entre ce visage fin et les mots très crus interpelle. Et le jeu sur le doublage retient l'attention jusqu'au panneau de fin qui incite toutes celles qui voudraient changer le visage de la société tunisienne à s'exprimer dans les urnes. Efficace.

 

Donner de la voix. Apporter sa voix. Ouvrir la voie. A l'initiative du Programme des Nations Unies pour le Développement, plusieurs artistes tunisiens à la mode ont composé un nouvel hymne pour l'occasion. Faut dire que l'événement est de taille. Il s'agit de la première élection libre après les deux décennies du régime Ben Ali durant lesquelles les résultats, truqués, étaient toujours connus d'avance. "Avant il y avait un seul parti. S'opposer c'était voter nul. Là, on a la possibilité de voter pour quelqu'un qu'on apprécie", confient en privé les Tunisiens les plus âgés conscients de l'importance du scrutin. Pour les plus jeunes, le changement est moins évident et pour les inciter à participer, quelques grands noms de la scène underground ont enregistré une chanson intitulée "Enti Essout". Le parolier Bendir Man, les chanteuses Badiaa Bouhrizi et le duo electro-pop Si-Lemhaf y confient leurs espoirs d'une société plus juste. Chacun a leur manière, ils décrivent la Tunisie d'hier, chantent celle qu'ils souhaitent voir pour leurs enfants avant de reprendre ensemble le refrain "Ils ne passeront pas, même s’ils élèvent des murs, mon peuple, tu es la voix." Diffusé depuis le 22 septembre, ce clip collectif mêlant des chanteurs d'univers assez différents, une première pour le pays, est téléchargeable gratuitement sur wwww.entiessout.com. ainsi que le vidéo-clip et le « making of » de l’enregistrement.

   

Ces initiatives récentes sont typiques des nouvelles campagnes 2.0. Plus originales, elles donnent un coup de vieux à ce qui ce faisait avant. Le spot le plus "cheap", qui pourrait prétendre haut la main à un Gérard d'Or est incontestablement celui imaginé par le collectif "Civisme et démocratie" à l'occasion des dernières élections européennes. Parler de la protection de la planète pour attirer les jeunes soit, mais de là à faire une campagne aussi affligeante, le moins qu'on puisse dire c'est qu'il y a du déchet. A vous de juger. Certains parlent de "poubelle" publicité de tous les temps.

 


 Autre style : déjanté, décalé, ce spot financé à la même époque par le Parlement européen : At the polling station (au bureau de vote). Gros succès sur la toile mais pas forcément dans les urnes. Pas sûr de voter pour lui tant le coté surréaliste va à l'encontre du message.

 


L'humour, on le constate est assez difficile à manier dès lors qu'il s'agit de grands enjeux politiques. Les agences de communication tunisiennes ne s'y sont pas risqué. Au juste titre. Les jeux de mots et les parodies ne font pas toujours la blague. Pour y parvenir, il faut avoir de la bouteille. Ce qui n'est pas donné à tout le monde. Certains poussent le bouchon un peu loin, à l'image de cette campagne qui s'est transformé en piquette pour ceux qui l'ont commandé. Capitain Europa pour sauver le rosé, c'est osé et capiteux sur le papier mais à l'arrivée, ce cas d'école est pour le moins piteux. 

  


Des paillettes, du strass, du people : quoi de mieux pour attirer le chaland. Un des spots les plus vus a été tourné aux Etats-Unis. Une série de personnalités face caméra. Pas révolutionnaire, direz-vous. Sauf quand ces célébrités s'appellent Dustin Hoffman, Léonardo Di Caprio, Demi moore ou Julia Roberts. Quand ces messieurs-dames vous interpellent, ils sont écoutés. Les publicitaires parient sur le fait que les jeunes vont suivre leurs modèles et qu'ils seront tentés d'imiter ces exemples de réussite. De fait, le casting est si relevé dans ce spot que les internautes se demandent qui va leur parler et de fil en aiguille, finissent par tendre l'oreille à leurs arguments.

 

 Le parallèle est intéressant avec le prochain clip produit par la Fondation pour l’innovation politique. Et pour cause puisque les propos sont identiques : "I don't vote... It is a bad idea". A une différence près, les arguments sont tenus cette fois-ci par de parfait inconnus. Moins d'écho mais une attention malgré tout maintenue car la construction est pertinente. Plutôt que de reprendre des discours rodés, mille fois entendus et attendus, les concepteurs sont partis de phrases glanées ici et là. "Pourquoi voter? Pourquoi se déplacer pour rien? Une accroche plus qu'efficace. En mettant directement les pieds dans le plat, en teasant avec du politiquement incorrect, les jeunes Européens mis en scène attrapent tout de suite l'attention. Et peu à peu, le débat s'installe, les arguments s'enchaînent pour arriver à une évidence : "si vous ne vous occupez pas de politique, la politique s'intéressera à vous". La méthode est intéressante. Surtout que communication virale oblige, les internautes sont invités à se déchaîner sur les réseaux sociaux et adresser cette vidéo à cinq amis. L'internet comme nouveau maillon de la communication citoyenne : une chaîne qui vaut bien des chaînes de télévision.

   

Pour toucher les jeunes, les indécis, les créatifs tentent de dédramatiser les élections. Après tout, les timides ne font-ils pas déjà part de leurs avis en regardant des émissions comme la Nouvelle Star, Secret Story ou Nice People? Les jeux télé font partie de la réalité quotidienne. Départager des candidats est devenu une habitude. Alors pourquoi ne pas s'appuyer sur ce phénomène? Au Pays-Bas, terre d'origine d'un des géants du genre, Endemol, un spot tourné par Publicis témoigne de la banalité du vote. En compilant différents extraits de programmes, l'agence joue même sur la notion de plaisir. Le message est clair. Quelle idée de s'abstenir quand on consulte et qu'on vous offre la possibilité de de vous exprimer pour de bon. La téléréalité au secours de la démocratie... Pas sûr que les politiques apprécient d'être réduits au rang d'apprentis cuisiniers ou chanteurs de variété, eu égard aux efforts qu'ils se donnent pour imaginer des programmes sérieux. Mais l'idée inattendue est susceptible de séduire de nouveaux électeurs.



Les agences françaises ne sont pas en reste dès lors qu'il faut délirer. Fuyant les campagnes sages,  BDDP et fils s'est tourné vers les sages femmes.  Sentant le couffin, enfin le coup fin, le réalisateur neil Harris a imaginé une scène de joie dans l'enceinte de la maternité qui tournerait au cauchemar pour la jeune femme... enceinte. Un scénario catastrophe où tout le monde donne son avis sur le prénom du nouveau né sauf les parents. Moralité : "ne laissez pas les autres décider pour vous". Un bébé pour émouvoir, basique, c'est le b a ba des agences. Un bébé, Ah ah ah... Désolé.

 

 Last but not least, la campagne qui a sans doute fait le plus de buzz ces deux dernières années est sans aucun doute celle des jeunes socialistes de Catalogne. Plus de 600 000 vues sur You tube et de nombreuses copies. Une vidéo osée, sensuelle intitulée "Voter est un plaisir" qui a déclenché une grosse polémique lors de son lancement. Et il y avait de quoi. On y suivait une jeune femme dans un bureau de vote. Au fur et à mesure de ses opérations (prise du bulletin, passage dans l'isoloir, dépose dans l'urne), elle y éprouve un plaisir grandissant, au point d'avoir un orgasme. La droite crie au scandale et affirme que le clip est une "atteinte à la dignité de la femme".  La gauche appelle ainsi au "respect de la femme et à la responsabilité". L'espace de quelques jours, les journaux catalans ne parlent plus que de sexe et de vote, urnes et burnes, érections et élections. Un très bon coup. Jamais le taux de pénétration des discours socialistes auprès des jeunes n'aura été aussi bon et la participation aux ébats, pardon aux débats aussi forte.

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