samedi 8 octobre 2011

Deux vidéos de danse très denses. Le "bullet time", c'est de la balle !


Un ovni sur la toile. Ryan Enn Hughes, un jeune réalisateur canadien vient de poster sur le web deux vidéos de danse absolument bluffantes. Deux courts métrages splendides où l'on voit des danseurs filmés sous toutes les coutures : de face, de trois quart, de dos, par la droite, par la gauche. Une petite révolution dans le milieu de la danse trop habituée à des images prises de face ou de côté. Deux spots de 30 secondes seulement qui ont fait rentrer le ballet de plein pied dans le XXIème, balayant les captations héritées du temps des théâtres à l'italienne.



Ryan Enn Hughes a installé 48 appareils photo, 48 Nikon D7000 disposés en cercle autour d'une ballerine pour avoir une vue à 360 ° de chacun de ses gestes. En prenant 48 photos au même moment et en les collant les unes à coté des autres en post-production, le créateur est arrivé à rendre la pureté de gestes, de postures qui souvent passent inaperçues. Un tour de force qui permet aux néophites de découvrir des attitudes incroyables sous tous les angles. De quoi mieux apprécier la technique ou l'expressivité des artistes.
Qu'ils soient inspirés par le hip hop comme les danseurs du Northerbuck Krump ou par la musique classique comme les ballerines du Canada’s National Ballet School, ils sont figés et en mouvement. Figés puisqu'il s'agit toujours du même instant. Et en mouvement puisque la juxtaposition des différents clichés donne l'impression qu'une caméra sur un rail tourne autour des corps en action. Cet effet s'appelle le "bullet time". Un arrêt sur images, au pluriel. Ce type de trucage demande une grande préparation, un vrai travail d'horloger comme en témoigne cette petite vidéo de l'installation.

 

Dans ce cas de figure très particulier, en studio, les Nikon D7000 étaient tous reliés à un ordinateur et tous les clichés stockés sur un serveur. Les images ont été retravaillées sur Photoshop pour masquer le rail, les projecteurs et les boîtiers. Les silhouettes ont été détourées pour ne garder que les corps en action puis l'arrière plan a été gommé, remplacé par un fond noir complètement homogène. Ensuite, place au montage, les photos ont été placées sur une timeline pour donner une séquence continue. Quand les plans n'étaient pas raccord, le monteur les a stabilisé sur after effect. Et cerise sur le gâteau, une fois l'assemblage terminé, un compositeur a créé une musique spécialement pour les deux films. Un travail d'équipe qui fait bien comprendre pourquoi en anglais, on utilise le mot "film director" pour parler d'un réalisateur.


Le Project 360 est un superbe film d’animation. Mais il ne s'agit pas à proprement parlé d'une nouveauté. Il y a un an, une célèbre marque de maillots de bain, Rip curl, avait fait grand bruit avec une vidéo tournée en Malaisie qui avait été vue près de 700 000 fois. Un film publicitaire original où l'on voyait quatre surfeurs Mick Fanning, Stephanie Gilmore, Owen Wright et Matt Wilkinson faire des manoeuvres incroyables dans une piscine à vague.

   

 Un gros buzz avait accompagné sa sortie. Et l'on avait beaucoup parlé de cette impression de 3 D qu'on ne retrouvait jusqu'à présent que dans les jeux vidéos. L'installation et le tournage avaient nécessité deux jours de travail plein. 52 appareils Canon, cette fois ci, avaient été disposés au-dessus de l'eau. Une expérience plutôt sportive puisqu'une fois les ordinateurs installés et les boîtiers DSLR fixés sur une immense immense rampe carrée, un énorme déluge s'était abattu sur Kuala Lumpur. Une grosse frayeur mais à l'arrivée, un rendu fabuleux qu'aucune caméra n'aurait pu rendre vu la rapidité d'exécution des manoeuvres. Les athlètes sont saisis en plein vol, presque en gros plan et on devine les gouttes d'eau en train de gicler.


   

 On parle aujourd'hui de révolution, mais le procédé est vieux comme Hérode. La technique a été inventée avant même l'invention du cinéma, par l'anglais Eadweard Muybridge, qui en 1878 pour décomposer le trot du cheval et savoir ses sabots quittait le sol à pleine vitesse avait placé douze appareils photographiques le long d'une piste blanche. A l'époque, pour fixer des images et prendre des photographies instantanées, il fallait utiliser une émulsion humide qui ne pouvait être préparée que quelques minutes avant la prise de vue. Chaque appareil se trouvait donc à l’intérieur d’une chambre noire où un opérateur attendait un coup de sifflet pour fabriquer l’émulsion et préparer la prise de vue. Les assistants, qui s'en chargeait, n'en sortait qu'au tout dernier moment quand ils entendaient un coup de sifflet. Pour cette expérience, les appareils étaient disposés sur le long de la piste et lorsque le cheval passait devant l’un d’eux, il cassait une ficelle, ce qui déclenchait la prise de vue. Et une anecdote raconte que quand les ficelles utilisées étaient mal choisies, les chevaux au galop entraînaient avec eux les cabines, les appareils et les opérateurs. On était loin de nos APS numériques. C'étaient les tous premiers pas de la photographie. Et quand on regarde ces images, on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine émotion.

   
 Aujourd'hui, on attribue "le bullet time" au plasticien Emmanuel Carlier. Dans le cadre de troisième biennale d'art contemporain de Lyon en 1995, le photographe français diffuse un film intitulé le "Temps mort". Il dispose 50 appareils photographiques à déclenchement synchronisé en arc de cercle. Il demande à diverses personnes comme Caro et Jeunet ou Olivier Martinez de se placer au centre et les photographie en rafale. Il assemble image par image les clichés et obtient un effet en trois dimensions. C'est le tout début du "bullet time" : une séquence rare.


 

 La mise en images du "Temps mort" à 360 ° est si originale qu'elle marque les esprits. Bernard Pivot la montre même à la télévision. Tous ceux qui s'intéressent à l'audiovisuel de peu ou de loin cherchent à comprendre le procédé. Et quelques uns s'en inspirent pour leur propres créations. Ce sera le cas du vidéaste, Michel Gondry, qui toujours à la pointe, l’introduisit dans un clip des Rolling Stones. "Like a rolling stone" où l'on voit des fêtards figés dans un salon fait l'effet d'une bombe. Les courtes séquences en ralenti restituent pile poil la vision d'une personne défoncée. Stupéfiant, entend-on dans les soirées branchées.

 


 Smirnoff, engage quelques mois plus tard, en 1997, le réalisateur pour une pub. Et l'ancien batteur du groupe "Oui Oui" ressort cet effet d'image arrêtée. Il s'agit de la première utilisation commerciale.


   

 Mais les premiers à vraiment populariser ce trucage sont Larry et Andy Wachowski. C'est à eux que l'on doit le nom de "bullet time". Dans "Matrix", les deux Américains signent une scène remarquée où l'on voit une balle qui quitte le canon d'une arme. Sa trajectoire est suivie au ralenti. Et le téléspectateur a l'impression qu'une caméra tourne autour d'elle comme si comme si le temps s'était stoppé, et si elle était figée dans les airs. Depuis 1999, date de sortie du premier volet de la trilogie, les arrêts sur image suivis d'une rotation autour d'un objet ou d'un personnage sont devenus monnaie courante dans les grosses productions de science- fiction. La séquence a tellement marqué les esprits que certains ont même renommé ce trucage, effet "Matrix" tant cette technique y a été employée avec bonheur.


   

 L'effet a fait effet. Et école. Aujourd'hui, il est souvent reproduit par les graphistes dans les jeux électroniques notamment les jeux de combat. Il faut dire qu'il est assez spécial. Certains diront même que "c'est de la balle". Il l'est cependant un peu moins en vidéo, car il nécessite de gros moyens, beaucoup d'appareils pour une durée qui est est plutôt courte. "Ce qui est beau est rare et difficile", écrivait Spinoza. L'effet "bullet time" en est une belle illustration. Si les clips de Ryan Enn Hughes suscitent autant de surprise et d'intérêt, c'est qu'il continue de frapper les imaginations. Va-t-on bientôt parler de "ballet time"? Pas sûr, mais ces vidéos auront eu un mérite. Celui de donner un coup de balais à l'image poussiéreuse de la danse.

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