jeudi 13 octobre 2011

"Last guitar hero" : l'histoire d'une photo plutôt canon et assez détonante en Libye




C'est la  photo de la semaine... Plutôt canon !
Libye, 10 octobre. Dans les rues de Syrte, des combattants tirent, les balles fusent de partout, la rue est  jonchée de débris. Et au milieu comme si rien n'était, un homme barbu joue de la guitare.
Le cliché est signé Aris Messinis, un photo reporter de l'AFP.  La scène est si inattendue, si sidérante qu'elle fait le tour du monde. Loin des photos habituelles de guerre, à l'écriture plutôt codifiée, l'image suscite dans un premier temps l'incrédulité. Certains journalistes soupçonneux  tournent et retournent la photo et la passent à la loupe cherchant une quelconque trace de montage. Peine perdue. Elle est authentique : «Nous avons un logiciel qui étudie en quelques minutes les différentes parties d’une photo et vérifie qu’elles correspondent» explique le service photo de l’AFP. Une méthode «complètement fiable», ajoute-t-il.

Aris Messinis  travaille pour l'AFP depuis des années et il est connu pour sa probité. Il a même été primé en 2005 pour une de ses photos de sport montrant la joie de l'équipe grecque de foot après une victoire contre la France lors du Championnat d'Europe.




Couvrant l'actualité international, le reporter grec était un habitué des lieux. Il y avait passé trois semaines fin mars et il suivait la fin du conflit près de Syrte depuis le 23 septembre. Au moment du cliché, il se trouvait derrière un groupe de combattants du Conseil national de transition. Entre les rebelles et les fidèles de Kadhafi,  cela tirait de partout. Tantôt  c'étaient des tireurs avec des AK47, tantôt des  mitrailleuses ou des armes anti-aériennes. Et c'est là qu'il aperçoit un musicien sorti de nul part brandissant sa guitare à bout de bras. Le photographe, placé à 50 mètres de lui, saisit son objectif.  Vu le vacarme, impossible de dire ce que le révolutionnaire jouait et s'il jouait bien. Sur la page facebook de l'AFP, Aris témoigne : "J'ai vu des combattants qui chantaient, portaient de drôles d'habits, qui priaient, qui fumaient du narguilé sur le front mais je n'avais jamais vu ça. Je me sens chanceux d'avoir été là à ce moment précis et d'avoir pu capturer ce moment".




Toute la force de l'image vient du contraste entre un monde ultra violent avec des armes au premier plan et la présence incongrue de cet artiste improbable, jouant la sérénade. Il y a un décalage entre deux univers qu'on a volontiers tendance à dissocier : la guerre d'un côté et les arts de l'autre. Une photo riche qui se prête à bien des lectures. A première vue, il s'agit d'un combattant qui encourage ses camarades. Une attitude intrépide un peu inconsciente compte tenu du lieu et du peu de protection dont il dispose. Au second degré, certains y ont vu un "éclairage sur l'absurdité de la guerre". La scène est ambiguë, ce qui laisse la place à l'imagination, à l'interprétation.

«Si elle interroge autant, c’est en partie à cause de son recadrage», explique André Gunthert, un chercheur qui dirige le laboratoire d'histoire visuelle contemporaine à l'EHESS. «Aris Messinis a pris plusieurs photos de la scène, et certaines ont été recadrées en donnant l’impression que le guitariste est plus en danger qu’il ne l’est en réalité. Quand on regarde la photo dans son cadrage original, on voit que le guitariste, comme son voisin, ne sont pas exposés, ce qui amoindrit la force de l’incongruité.»



Le charme de la photo provient d'un décalage flagrant, de l'opposition de deux activités. Ou de deux éléments qui n'ont pas la même force. Comme on peut en observer entre un homme seul faible face à un tank, une faible femme  qui regarde une multitude d’hommes en train de mitrailler…Ou comme cela a pu arriver dernièrement avec un cliché pris le 14 janvier dernier en Tunisie, où l'on voyait un homme qui faisait mine de tirer sur des policiers  avec une baguette de pain.


Des photos étonnantes, détonantes qui par le coté disproportionné des forces en présence interpellent. La plus marquante étant sans doute l’image d'Ammar Awad de l'agence Reuters qui a pris une photo bluffante de soldats israéliens s'arrêtant dans leurs  combats pour laisser passer une jeune Palestinienne  sur le chemin de l'école, une petite fille insouciante avec son cartable rouge.



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