lundi 30 janvier 2012

Présidentielles : quand internet accompagne la campagne



En 1981, le PS voulait changeait la vie. En 2012, ses dirigeants ont juste changé d'avis. Malgré la solidité de son candidat, sa plateforme électorale qui couvre bien des thèmes, l'énergie et l'envie de ses militants, ce qui a agité la toile cette semaine, c'est un spot. Un clip de 43 secondes, où l'on voit des éléphants, des people, des anonymes répéter un slogan, "Le changement, c'est maintenant " et croiser face caméra les bras comme s'ils faisaient le haka néo- zélandais.



Tourné en quelques heures dimanche dernier dans les coulisses du meeting de François Hollande au Bourget, diffusé dès le lendemain sur les sites de partage, la vidéo a éclipsé les propositions du député de Corrèze. Surpris par la faiblesse de la mise en image et de la gestuelle, les bloggeurs ont rapidement fait le rapprochement la chorégraphie d' une célèbre chanson populaire, "The ketchup song". Un titre où plusieurs bimbos, Lola, Pilar, Lucía et Rocío Muñoz, faisaient valoir de sérieux arguments en croisant les avant bras au dessus de leur nombril,  un album vendu à plus de 12 millions d'exemplaires et un clip vu 43 millions de fois sur You Tube depuis juillet 2007.


Au départ, les créateurs de la chorégraphie voulait faire un clin d'oeil  logo de campagne de François Hollande, une identité visuelle créée l’agence de communication BDDP & Fils, dirigée par François Blachère.  Deux barres qui isolent les deux premières lettres du prénom du challenger socialiste et qui rappellent les autocollants made in France. Le concept est simple : François, la France, les Français regroupés dans un même sigle. Un même candidat, une même nation, un même signe. 

   


Du côté de l'équipe de campagne, on explique avec le sourire que ce geste rappelle le programme du principal parti de gauche. Les deux barres qui encadrent le nom et le slogan du candidat rappellent un des trois piliers de la devise française : l'égalité. "C'est un résumé pour les sourds et malentendants" assure-t-on, rue de Solférino. (Paradoxalement, ce sont les mêmes qui déplorent la pauvreté du débat.) 





De fait, les internautes n'ont pas vu la subtilité du propos et ont surtout retenu le coté léger de la chorégraphie. Les parodies n'ont, d'ailleurs, pas tardé. D'abord de la part de journalistes branchés comme Guy Birebaum, bloggeur et chroniqueur radio parisien, qui s'est filmé avec sa webcam mâchoires et visage fermées en train de faire le nouveau haka du Bourget. Puis par des dizaines d'anonymes qui se sont mis à faire des grimaces chez eux et à les mettre en ligne. Façon rap ou façon Mia. Chauve qui peut.


Un peu cabot? D'accord. Mais la création ne manquant pas de chien, c'est bientôt toute une ménagerie qui a fait son apparition apparaître sur nos petits écrans. Car sur la toile, c'est bien connu, ce que félin l'autre le fait aussitôt. Chat alors !





La machine s'est emballée rapidement. Trois heures après sa mise en ligne, la vidéo a été vue cent mille fois.





Devant une telle curiosité, Vincent Feltesse, le responsable de la campagne numérique du candidat socialiste et élu girondin a créé une page tumbler. Un compte où les internautes ont pu poster des photos plus ou moins déjantées et des vidéos parodiques inspirées du film monté le dimanche précédent.




C'est ainsi que peu à peu, on a vu des accros de Photoshop détourner des images de Jacques Chirac ou de la chanteuse Madonna les bras croisés. Ou des pastiches de créateurs ayant un peu forcé sur le pastis...



La présidentielle battant son plein, les suiveurs se sont plaint de cet épiphénomène qui pouvait faire de l'ombre au débat à 90 jours du premier tour et la majorité a sauté sur l'occasion pour partir à l'assaut.



Dans un premier temps, les militants de droite ont répondu en reprenant le clip d'origine et en substituant au logo d'origine "le ridicule, c'est maintenant." Puis quelques heures, plus tard avec une vidéo enrichie de synthés se moquant de l'esprit ganstarap de ce signe de ralliement qui leur évoquait les saluts des ghettos noirs américains. Le clip a du coup été revu et corrigé avec un mot d'ordre "les éléphants cela trompe énormément!" La loi de la jungle, on vous dit...




A l'UMP, la riposte n' a pas tardé. Les tweets ont fusé "Pas de bras, pas de changement", "Si tu es handicapé des deux bras, le changement, cela sera pour plus tard". Et un tumblr concurrent "Le ridicule, c'est maintenant" a vu le jour. Avec des vidéos et des parralèles pas forcément de bon goût. 



Au vu des réactions peu convaincues, les journalistes politiques ont alors parlé de flop allant même à comparer le clip de la cellule internet du PS au célèbre lipdub, ou "lip daube", de l'UMP imaginé fin 2009 par "les jeunes pop" devenu l'archétype du loupé sur la toile.



De quoi faire enrager Romain Pigenel, le jeune  militant à l'origine du tournage. " Le lipdub UMP était la réponse à une pratique alors en vogue, consistant à mimer une chorégraphie et un playback sur une musique commune à tous les participants, pour mettre en valeur un groupe bien précis (une entreprise, une grande école, ou en l’occurrence un parti politique). Ici, c’est exactement l’inverse : l’invention d’un signe de reconnaissance, de ralliement, que n’importe qui peut reprendre. Le lipdub est un objet en soi et se limite à lui-même ; la vidéo « le changement c’est maintenant » n’est qu’un véhicule pour un signe de ralliement que chacun peut s'approprier. Le lip dub vous place en position exclusive d’observateur – et donc de ricaneur – quand le « signe du changement » vous place en position potentielle d'acteur." 

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Il voulait créer un gimmick propre au PS comme le célèbre "Manger des pommes" de Jacques Chirac. Un symbole qui avait été décliné sous de multiples formes graphiques ou vidéos  et qui avait fédéré les sympathisants le temps d'une campagne. Ce membre actif de la cellule Internet de Fraçois Hollande rêvait à partir que ce geste facile à retenir, loin "des rituels politiciens", touche des gens qui, autrement, seraient inatteignables jusqu’au jour du vote. Et de créer un mouvement  devienne aussi connu que le « tourner de serviettes » de Patrick Sébastien. Belle ambition. Qui ne tente rien, n' a rien. 
Malheureusement, le journaliste Nicolas Delessalle, lui, n'y a vu que des "gens qui comme les passagers du Concordia appelaient à l'aide."D'autres ont posté, une vidéo achevant de casser cette belle dynamique comparant la création aux évolutions caricaturales  des Power rangers.


 


La danse du "changement, c'est maintenant" avec son cisaillement se voulait à la fois le symbole d'un ras-le-bol de la politique de Nicols Srkozy ( depuis qu'il a perdu son triple A, on ne sait plus comment écrire son nom, disent ses détracteurs) mais elle avait surtout l'ambition de devenir le "Yes, we can" de 2012. Ses créateurs, blogeurs blageurs, espéraient qu'à la manière de la pub "Twix, deux doigts coupe-faim" qui avait fait exploser les ventes de la barre chocolatée, leur vidéo déclencherait un ras-de-marée, ils auront juste réussi à faire sourire les sympathisants de leur cause et soupirer ceux qui attendent plus d'une campagne. Mais on peut en tirer, quand, même un enseignement. On a revécu en accéléré la séquence de la vidéo de campagne de François Hollande pendant les primaires socialistes. 





La vidéo remarquée du député de Corrèze lors de la primaire avait fait le buzz. Et marqué les esprits. A tel point que quelques semaines plus tard, elle avait été parodiée par des proches d' Europe Ecologie. Au plus mauvais moment, puisque le candidat PS était alors en pleine négociation avec les Verts sur le maintien en activité des centrales nucléaires. Greenpeace avait en effet profité de la forme graphique très facilement imitable de son spot pour répondre sur la toile à ses propositions. "Comme François Hollande aime les chiffres, nous lui proposons ce clip de campagne sur le nucléaire ! » Sur une question aussi centrale que celle-ci, la réplique branchée des écolos a fait l'effet d'un électro choc... Et l'ambiance est devenue pour le moins électrique... Preuve que la réactivité est de mise sur le net. Et que ceux qui n'y prennent garde peuvent subir de sacrées décharges. 



Chaque parti a aujourd'hui sa cellule internet. Et ses créatifs. Le but : faire le buzz en sortant des vidéos humoristiques. Faire parler en bien ou en mal. Et imposer ses thèmes. A l'image des jeunes communistes qui ont détournée la série événement du moment diffusée par Canal Plus, "Bref", pour faire un court métrage sur le mal logement. Une vidéo maison hébergée par le Front de Gauche.



Mais les plus actifs et innovants sur la toile sont sûrement les soutiens de la candidate d'Europe Ecologie-Les Verts.  Nullement découragés par ceux qui disent Eva se planter, ils sortent semaines après semaines des spots, en vert et contre tout. Avec une idée commune à bien des community manager : surfer sur les tendances. Et si les militants des jeunes communistes de France ont joué la carte de la série à la mode, eux ont fait un sacré buzz fin 2011 avec le phénomène des "lol cats". Toujours verts et plein d'humour, ils ont parodié ces vidéos qui émeuvent la planète web et qui mettent en scène des chats dans des scènes cocasses. 






Un peu trop matous vus ! Regardez celle-ci!



Moins consensuelle que Nicolas Hulot, qui par son charisme, sa connaissance des dossiers environnementaux, aurait fait avancer la cause de l'écologie auprès des Français et obtenu un très grand nombre de voix sur son seul nom, la députée européenne a été violemment attaquée sur son accent et son coté clivant. Alors que bon nombre de ses détracteurs voyaient en elle une Hamlet norvégienne, l'élue aux lunettes rouges a su parfaitement déjouer le piège et réussi à faire taire les polémiques grâce une vidéo très bien faite. Un clip où elle a su mettre l'accent sur la diversité des citoyens français et de tous ces talents qui enrichissent notre pays. Son équipe très imaginative arrive à merveille à ménager sa monture et créer avec un budget réduit des coups sur la toile. Et si ses lunettes sont devenues un signe de ralliement que de toute évidence les jeunes socialistes lui envient, ses clips simples mais percutants sont en passe de s'imposer comme des références.



Les Verts comme le PS ont compris que si on créé l'événement et on occupe la toile, on finit par faire parler de soi. En bien ou en mal, l'important à leurs yeux, c'est de ne pas se faire oublier, de peser sur les débats. Et imposer ses thèmes et son agenda plutôt que de positionner en réaction à l'actualité. Ce souci d'avoir une approche 2.0 répond aux changements de comportements de nos concitoyens moins présents devant leurs écrans ou dans les meetings mais de plus en plus connectés. Une attitude moderne mais qui a parfois des mauvais cotés et qui se traduit parfois par du harcèlement en ligne. C'est ainsi que tous les jours,  en ouvrant ma boîte mail perso, je reçois un ou deux communiqués d'Europe Ecologie-les Verts. Lassant à la fin et quand je réponds par courriel pour demander de ne plus recevoir ces annonces, le résultat est limité puisque c'est un serveur automatiser qui adresse ses courriers. Cela vaut pour les Verts mais aussi pour l'UMP. C'est ainsi que depuis quelques jours, des internautes, non encartés au parti présidentiel, ont pu reçevoir un mail de "Jean-François". Adressé nominativement. Un message de Jean-François Copé, qui propose à ses lecteurs de rester en contact voire de faire un don. Un spam qui peut s'avérer payant ou contre productif. Une nouvelle pratique  désagréable que la Commission européenne envisage de réglementer.




En matière de prospection directe par courrier électronique, la société qui recourt à cette technique est tenue d’obtenir un consentement préalable de la personne dont les coordonnées sont traitées. Si elle ne le fait pas fait, elle s'expose à une sanction de 750 euros par courrier envoyé. Mais cette disposition législative porte sur la prospection directe et commerciale et non sur la prospection politique. Or, cette dernière n'entre pas dans le champ d’application de l'article du Code des postes et communications électroniques exigeant le recueil du consentement préalable. Aussi, si l’on adopte une lecture stricte de la loi, le consentement pourrait ne pas être requis en matière de prospection politique.


Cependant, la CNIL a émis en 2006, à la suite d’une campagne similaire, un certain nombre de recommandations et appelait à une modification de la loi. Dans ses recommandations, rappelées en 2009, cette dernière précisait notamment que s’il était possible de louer des fichiers auprès de sociétés spécialisées, il était nécessaire que les personnes aient été informées du fait que leurs coordonnées pouvaient être utilisées à des fins de prospection politique.
Par ailleurs, elle indiquait également, que les partis politiques devaient s’assurer que cette information préalable avait bien été faite. De même, elle précisait que les mails devaient comporter l’origine du fichier et les modalités permettant à l’internaute de demander à tout moment de ne plus recevoir de nouveaux messages.


Internet, et c'est normal, change la communication politique. Les incursions sur le net en étaient à leurs balbutiements en 2007, aujourd'hui, c'est une préoccupations majeures des candidats. Marine Le Pen n'y échappe pas, elle, qui a lancé la semaine dernière sur le web une nouvelle plateforme "La toile bleue marine" pour recueillir les contributions de ses sympathisants. Avec un discours très ciblé.





Internet rebat les cartes. Quand on observe le paysage numérique aujourd'hui, on remarque que la visibilité sur la toile, n'est pas toujours fonction du budget des candidats. Par exemple, si le budget consacré par l’équipe de Jean-Luc Mélenchon à sa campagne web est le plus faible des favoris, son blog arrive à la seconde place. En décembre, le site du trublion a été enregistré 680 000 pages vues. Beau score. 






Il faut dire que le candidat soutenu par les communistes est très actif avec une web série récurrente, un reportage  dans les coulisses de sa campagne filmé par son équipe de campagne, histoire de maîtriser complètement sa réalisation et être sûr de ne pas voir ses propos déformés. Le résultat est flatteur quand on sait qu'il n' a pu investir que 100 000 euros pour sa campagne numérique. 




Même avec le premier budget français de l'ordre de 2 millions d’euros, le président sortant se fait devancer par François Hollande et son budget inférieur, autour de 1 800 000 euros. Le candidat socialiste gagne la palme du site de campagne le plus vu avec 900 000 pages consultées en décembre 2011, contre 630 000 pour le non-candidat UMP. 













Sur les réseaux sociaux, les deux favoris des sondages font la course en tête. Sur Facebook Nicolas Sarkozy fédère plus de 500 000 fans  Très loin devant tous ses poursuivants notamment François Hollande, qui, deuxième, n'a que 38 000 "amis" pour le suivre et Marine Le Pen qui a 31 000 fidélisé 31 000 sympathisants. 




Sur Twitter, le classement s'inverse. François Hollande caracole en tête. Tout comme sur les sites de partage de vidéo en ligne. Son meeting du 22 janvier au Bourget a ainsi fait exploser le nombre de vidéos vues sur DailyMotion. Mais on ne doit pas pour autant en tirer de conclusions hâtives. Le président sortant  bénéficie d'une couverture médiatique classique bien plus importante, et il est cité sur le web bien plus souvent que tous ses rivaux... 

Chacun fait avec ses armes. Son budget. Et son programme.  Car si internet est un tuyau, le plus important pour notre démocratie est bien le message et les projets qui y transitent. Il est certes intéressant de se pencher sur ces nouvelles technologies de l'information et la manière dont les Français se les accaparent mais parfois on est en droit de s'interroger. A force de chercher à faire des coups de com, de répondre du tac au tac sans tact, les candidats ne vont-ils pas oublier l'essentiel : la réflexion. Il est encore temps de changer... A moins que vous n'aimiez être buzzés.

Tout est une question de maturité. Aux Etats-Unis, le président Obama utilise à merveille les possibilités d'internet. A l'image de ses rivaux s'emploie sur tumbler alors que la plateforme de micro-blogging est la grande absente de la campagne de ce côté-ci de l'Atlantique. Il a compris, et c'est un signe d'espoir pour nous, que les nouvelles technologies de l'information loin d'appauvrir forcément le débat peuvent servir le débat. Le making off du discours sur l'Etat de l'union témoigne d'une réelle maîtrise de ces outils. On y voit comment les rédacteurs essayent de trouver de nouveaux moyens pour convaincre les auditeurs. Lorsque le président souhaite aborder un thème, ils s'efforcent de raconter une histoire vivante ou émouvante pour rendre concret cette problématique. Du storytelling bien faite puisque lorsque le président les cite, le réalisateur les montre aussitôt assis derrière lui se tenant la main. Mais la grande innovation reste l'utilisation d'une variante de "réalité augmentée". Quand le président des Etats-Unis parle d'un projet, on voit en "split screen" un film ou des photos  pour illustrer ses propos. Dans le même état d'esprit, il va volontiers répondre aux questions des internautes même peu favorable comme des vétérans d'Afghanistan ou des militants d'Occupy Waal street via les sites You tube ou Google plus. Au niveau là communication 2.0, force est de constater qu'Obama casse la baraque.