samedi 29 septembre 2012

"Real Life Super heroes" : des anges gardiens qui semblent sortir de comics mais qui n'ont rien de comique

©Pierre-Elie de Pibrac

Ces héros qui semblent sortir tout droit de Comics n'ont rien de comiques. Les "real life super héros" agissent vraiment pour la bonne cause, en volant au secours de la veuve et de l'orphelin ou protégeant la nature, loin des écrans de cinéma. Même si leurs tenues ressemblent à celles des personnages de BD des années 40, ils ne bullent pas et vont dans les rues apporter aide et réconfort à ceux qui en ont besoin.

©Pierre-Elie de Pibrac
Ils sont près de deux cents aux Etats-Unis ou en Amérique latine à se grimer chaque semaine et à tenter de faire faire "triompher le bien" dans leur cité. A l'image des créatures de Marvel Comics ou de DC Comics, ils ont  une double personnalité, une identité classique passe-partout  le jour et une autre secrète qui se dévoile le plus souvent la nuit, dévouée, courageuse et intrépide. 
Ils abhorrent les coutumes  injustes et arborent des costumes justes, très justes, qu'ils abandonnent dès qu'ils reprennent leurs activités normales. Et le plus souvent ils sont dotés d'équipements, des cannes épées, des bombes paralysantes qui leur permettent de régler leur compte aux aventuriers mal intentionnés.


Mais ces héros du quotidien ont beau avoir des collants, là où le bas blesse, c'est qu'ils n'ont pas de super pouvoirs. Là où Captain America, Super Man ou Wonder Woman, possèdaient des capacités extraordinaires, ils n'ont à opposer que leur coeur, leur rapidité, leur force et leur intelligence.

©Pierre-Elie de Pibrac
 Pierre-Elie de Pibrac, jeune photographe toulousain de 29 ans, est parti à la rencontre de ces hommes d'action. Plus de deux mois de reportage pour percer les motivations de ces hommes et de ces femmes qui luttent à leur échelle contre la misère, la violence ou les incivilités. A sa grande surprise, il s'est aperçu qu'il ne s'agissait pas d'une poignée d' individus isolés mais d'un phénomène de société. Il  y a quatre ans, on n'en répertoriait qu'une trentaine aux Etats-Unis, aujourd'hui on en compte près de trois cents. Trois cents, avec des personnalités très diverses, qui très sérieusement parcourent une ou plusieurs fois par semaines dans les rues de leur ville pour jouer les justiciers solitaires. Certains de ces redresseurs de torts ont même tout quitté pour répondre à leur vocation et ne font plus que cela jour et nuit.

©Pierre-Elie de Pibrac
Au Mexique et en Amérique latine, ce type d'individus atypiques menant une double vie ont toujours existé. Et ce n'est pas pour rien que, lorsqu'en 1919, Johnston Mc Culley a souhaité donner vie à un héros masqué toujours prêt à combattre les injustices, il a tout de suite placé les aventures Zorro, "le renard" en espagnol,  en Californie espagnole. Il n' y a pas eu de loups, à part sur le visage de Don Diego de la Véga.  Son personnage de notable, cavalier et bon escrimeur, habitait au Sud de Los Angeles, en hommage à tous ceux qui se levaient à la fin du XIX ème contre les abus des chefs de garnison. Et aujourd'hui encore, au Mexique, il est courant de voir des citoyens aller au devant des sans-abris et des toxicomanes. Ou d'organiser des manifestations populaires à l'image de Superbarrio Gomez.



















Au Brésil, cette tradition est toujours vivace et pas plus tard que cette semaine, à Aracaju, au nord de Salvador sur la cote atlantique, plusieurs candidats en lice pour la mairie ont mis en ligne des clips de campagne où on les voit grimés en Batman ou Robin, histoire de bien marquer qu'ils entendent lutter contre la corruption et se démarquer.


Mais aux Etats-Unis, le mouvement a trouvé un terreau fertile. Un pays qui cultive à la fois l'altruisme (avec de très nombreuses associations d'entre-aide et de de secours comme les maîtres nageurs sauveteurs sur les plages, les mouvements de boys scouts ou les multiples structures de pompiers volontaires) et l'individualisme avec une mise en avant de soi, la prise de risques ou le culte de la performance sportive ne peut que générer des êtres rêvant d'héroïsme. Personne ne s'étonne de voir apparaître outre-Atlantique des robins des bois qui tout en étant simples mortels n'hésitent à en découdre pour porter assistance aux personnes en difficulté ou interpeler des voyous.
Surtout que le cadre légal s'y prête puisque de nombreuses dispositions autorisent les citoyens à intervenir et arrêter des personnes coupables de vol, de dégradations ou d'agressions.

©Pierre-Elie de Pibrac
En Amérique du Nord, ce type de comportements est profondément enraciné dans la culture locale. Cette  promptitude à réagir quand quelque chose ne va pas et cette propension à faire preuve de courage sont plus bien anciennes que la parution des premiers journaux illustrés. En 1645, déjà alors que l'Empire britannique régnait encore Outre-Atlantique, une poignée de patriotes dans la baie du  Massachussets avait juré de se mobiliser dans la minute si leur pays était en danger. Pour ces jeunes motivés, dont l'age moyen ne dépassaient pas 25 ans, surnommés par la suite les Minutemen, action et réaction valaient mieux que les palabres. Faut dire qu'à l'époque, il n'était pas rare de voir des officiers consulter leurs hommes sur les décisions à prendre plutôt de d'agir. Depuis, sur cette terre de pionniers, braver les dangers et voler au secours d'autrui est devenu naturel.


Le travail de Pierre-Elie de Pibrac témoigne de cette envie d'être utile à la communauté. Pendant deux mois et demi, il est allé avec son épouse Olivia dans 30 villes des Etats-Unis, de San Diego à new York pour comprendre les motivations de ces êtres originaux. Des dizaines de rencontres et au bout du compte, le même constant, ils sont avant tout animés par le désir de rendre service à leur communauté. Idéalisant comme beaucoup d'Américains juifs ou chrétiens leur "local life", ils s'évertuent à chasser ce qui menace et ceux qui menacent la cohésion, l'harmonie de leur cité. Ces anges gardiens ne cherchent pas forcément à changer le monde, ils règlent à leur échelle de menus problèmes dès qu'ils s'en aperçoivent s'inscrivant dans la droite ligne des héros de Comics.

©Pierre-Elie de Pibrac
Pour Xavier Fournier, spécialiste de bande dessinées, "quand il constate qu'il y a trop de morts sur la route, Superman détermine que les constructeurs de voitures sont responsables... que le maire ne fait pas assez appliquer les limitations de vitesse et ainsi de suite. Dans d'autres épisodes Superman s'intéresse aux mauvais traitements dans les prisons, à la dépendance au jeu... Dans Action Comics n° 8, (janvier 1939), Superman constate qu'une mauvaise urbanisation pousse au crime. Il détruit alors de ses mains un ghetto et force la ville à construire des habitations saines." Il y a de tout chez ces Bons Samaritains, mais dans l'ensemble, ils se sentent profondément concernés par les problèmes de leurs concitoyens. 
©Pierre-Elie de Pibrac
Hell Hound est ainsi symbolique de ces Américains qui se dévouent pour autrui. Fils d'un yakuza tué par la mafia japonaise, il a assisté en compagnie de sa soeur à l'assassinat de sa mère en 2010. Un traumatisme terrible. Depuis cet expert en arts martiaux s'est promis qu'il ferait tout pour que ce type de tragédie ne se reproduisent pas. Chaque soir, ce jeune homme de 24 ans parcourt les rues de son quartier. Tanderloin, est un des endroits les moins sûrs de San Francisco. A tel point que la police réfléchit à deux fois avant de s'y aventurer et ferme souvent les yeux sur ce qui s'y passe. Trois à quatre heures par jour, il se rend avec sa canne de combat dans les coins les plus mal famés pour prévenir les rixes et dissuader les dealers de drogue d'opérer en pleine rue au vu et au su de tous. Et étonnamment le résultat est là, grâce à ses rondes, il a réussi à empêcher plusieurs viols et de nombreuses attaques à l'arme blanche. Pour lui, sa cagoule et son habit rouge, est un moyen de préserver son anonymat et éviter que des criminels ou des personnes mal intentionnés ne s'en prennent à ses proches. 

©Pierre-Elie de Pibrac

Chacun a son histoire et sa mission, alors que Hell Hound a pour modèle Phantom, le célèbre justicier des années 1930 créé par Lee Falk, Mr Extrem s'inspire des Tortues Ninjas et des Power Rangers. Plus agé, 35 ans, cet habitant de San Diego s'acharne lui, à lutter contre les crimes sexuels, en faisant de la prévention et en reprenant des enquêtes laissées au point mort après des agressions. 10 ans à  remonter les pistes et à tenter de mettre derrière les barreaux les pervers de tout poil. Casqué, clouté de toutes parts, sa tenue de soirée vise à intriguer et à le protéger. Ainsi accoutré, il se sent protégé et oublie ses inhibitions.

©Pierre-Elie de Pibrac
D'autres ont des velléités plus sociales, comme Skyman, un ancien SDF, qui s'en est tiré et qui consacre son temps à aider les sans-abris de Portland, leur faire part de son expérience et tenter de voir avec eux comment sortir de cette mauvaise passe. Loin d'être un "adulescent", il en bavé et, à 36 ans, il sait de quoi il parle : la pauvreté, la nuit dans le froid, il connaît. Et avec ses mots, il tache de penser leurs maux. Sur de lui dans son uniforme, il leur apporte écoute, compassion et essaye de leur communiquer son énergie. Son habit est un moyen de susciter leur curiosité et un premier sujet de conversation. 
©Pierre-Elie de Pibrac
Life est sans doute le plus emblématique de ces bienfaiteurs atypiques. Contrairement à ce que l'on pourrait penser au premier abord, avec son masque noir, son chapeau sombre et sa dégaine étrange, il n' a rien de farfelu. Diplômé de la prestigieuse université de Columbia, ce jeune homme de 25 ans est animateur dans une radio du nord de Manhattan. D'ailleurs, quand il sort le soir après son travail dans les quartiers défavorisés près de la Cathédrale Saint John avec sa tenue qui rappelle "The Spirit", le héros créé en juin 1940 par Will Eisner, la cravate et son veston attestent du sérieux de sa démarche. Il distribue des produits de première nécessité ( savon, brosse à dents), des vêtements, de la nourriture. Une vocation qu'il tient de sa mère infirmière et de son père rabbin a qui il doit son surnom puisque Life est la traduction de son prénom, Haïm, qui signifie vie en hébreu.  



Le New-Yorkais est symbolique de ce mouvement de fond. Si il y a quelques années ces bonnes actions réalisées sous le sceau du secret se résumaient à quelques initiatives individuelles, à l'heure d'internet, elles se multiplient. Signe des temps, certains ont aujourd'hui des mécènes et s'investissent à plein temps dans leurs bonnes oeuvres, certains en faisant de l'instruction civique d'autres en luttant contre la toxicomanie. Du coup, les blogs, les sites à l'image de celui de Life, "superheroesanonymous", sont de plus en plus nombreux. On y trouve des codes éthiques, des portraits, des conseils pratiques. De quoi susciter de nouvelles vocations... D'autant que pour éviter de rester esseulés et prouver le sérieux de leur démarche, ces grands frères bienveillants communiquent de plus en plus sur le net et se fédèrent peu à peu. A tel point que le concept s'exporte et qu'on trouve trace de "real life super héros" en Russie ou en Europe. Notre pays ne fait pas exception puisque depuis peu s'est crée un groupe intitulé "Les défenseurs de France" qui oeuvre dans le 93, à Perpignan et à Valenciennes.

Photo d'Olivia Missoffe
Pierre-Elie de Pibrac ne se définit pas comme un journaliste mais plutôt comme un artiste. Le reportage, pour lui, n'est pas une fin en soi. Ses sujets sont autant d' occasions de découvrir de nouvelles écritures,  de s'intéresser à de nouveaux supports et se perfectionner dans des techniques différentes. Avide d'expérimentations, il décline son travail au gré des rencontres qu'il fait. 


Si au début de son projet, il a présenté son travail de manière classique, en 2011, il a affiché ses images  en plein air dans les rues de Toulouse. Des grands formats dans des lieux grand public évocateurs : à l'aéroport,  à l'entrée des cinémas ou des salles de spectacle. En tout 11 tirages géants, dont le plus grand faisait 12 mètres de long et des dizaines un peu partout dans la ville rose, certains nécessitant l'utilisation d'une grue, d'autres l'aide d' alpinistes spécialistes des travaux en hauteur pour les accrocher. Un travail de précision puisque pour faire face au vent qui souffle 300 jours par an en Haute-Garonne, il fallu imaginer des supports adaptés. 




Mais il ne s'est pas arrêté là puisque soucieux de recherche, il a souhaité faire des tirages originaux sur des matériaux qui lui rappelait la cité d'origine des héros qu'il avait rencontré. Le béton pour évoquer Orlando, le bois pour San Diego, le zinc pour New-York,  la brique pour Jackson. Des heures à trouver  la bonne technique d'impression pour chacun des dix portraits sélectionnés. Un travail poussé sur les textures dont on peut apprécier deux exemplaires à la Galerie PAPELart dans le quatrième arrondissement de Paris, au 1 rue Charlemagne. 

                   
Le premier bien placé en vitrine qui représente Blackbird, un super héro de Milwaukee  a été reproduit sur du métal rêche presque rouillé, le second qui représente Zimmer, chasseur de proxénètes et de dealers à Brooklyn sur de la tôle ondulée. Une impression numérique d'une grande finesse qui donne une autre dimension aux clichés.

   



Autre défi : la conception de figurines inspirées des super héros les plus représentatifs de ce phénomène de société, des statuettes figées dans la position qu'ils avaient choisie lors de leur premier rendez-vous avec l'artiste. Des marionnettes de la taille de poupées Barbie ou  de GI Joe qu'utilisent les enfants. Des jouets qu'on peut placer à coté des Superman et autres Batman en plastique dans une chambre d'enfants. Une consécration pour ces individus ordinaires qui oeuvrent dans l'anonymat et, d'un coup, d'un seul, sont devenus des modèles pour les plus jeunes, des figures exemplaires sans faille, sans peur et sans reproche. Au même titre que "The Advengers".

                  

Mais pour bien montrer le caractère fictif, ludique, artificiel et éphémère de ce changement de statut, le photographe s'est aussi amusé à fixer en studio sur de grands formats ces jouets en résine peinte. Une troublante mise en abyme. En les couchant à nouveau sur papier et en leur supprimant leur relief, l'artiste soufflait la fin de la partie, remettant les choses à leur place, leur rappelant que les "real life super héros"n'était au départ qu'un simple travail photographique. 



Et pour tourner définitivement la page, l'artiste a publié un ouvrage pour retracer les différentes étapes de son projet et mieux faire connaître le parcours ces anges gardiens surprenants. Un livre original et très bien mis en page  par Maryline Robalo, graphiste et éditrice inspirée.



























Là aussi, la variété des papiers et les recherche formelles sont au rendez-vous. Entre les photos mises en valeur sur des doubles pages, on découvre des portraits soigneusement  présentés en forme de clins d'oeil aux couvertures des  comics strips d'antan, des analyses de spécialistes et même un petit livret contenant de très courtes bandes dessinées dont les personnages principaux, je vous le donne en mille, sont justement "les justiciers amateurs" rencontrés par Pierre-Elie de Pibrac. Un récit stylisé de Mort Todd, un illustrateur bien connu dans le monde de l'animation, une fine plume très prisée qui a su parfaitement saisir l'ironie de l'histoire transformant ces lecteurs assidus de Comics en héros d'un jour.







Le succès artistique s'est accompagné d'un buzz sur la toile. Après la création d'un blog, d'un site dédié à ce street trip et la mise en ligne de courts reportages sur Youtube, les blogueurs puis les médias en ligne se sont pris de passion pour ce phénomène qui fait naître des étoiles dans les yeux des anciens fans de Strange. Fin du voyage bientôt avec une séance de signature, mardi 2 octobre, à Paris à PAPELart, la galerie tenue par Orianne Beguermont et Maryline Robalo. Alors pour célébrer cet événement après suivi la transformation de personnes ordinaires en super héros, voici une ultime pirouette des supers héros surpris dans leur quotidien. Des sketchs interprétés par des stars qui se présentaient comme des super zéros : les Nuls. Superman et Spiderman assis dans une cuisine en train de deviser, quel tableau. Difficile de trouver plus belle chute pour terminer un billet.