mardi 4 juin 2013

Freeride en Alaska : pourquoi tant de "Haines" ?




Le glacier bleu très crevassé me fait penser aux séracs de la vallée du Mont-Blanc. Cela ne fait que quelques minutes que j'ai quitté Juneau, la capitale de l'Alaska dans mon petit avion à quatre places que je suis époustouflé. Au début, j'avais l'impression de survoler la mer de glace.



Mais au bout d'un quart d'heure, je m'aperçois que plus cela va, ce n'est pas une vallée de Chamonix mais des dizaines qui s'offrent à mon regard. Autour de moi, les cimes des montagnes sont acérées et  leurs versants  couverts d'une fine poudreuse immaculée. Le panorama vu du ciel est fabuleux.




Sous le cockpit, la mer bleue foncée, et sur le coté, des sommets blancs à perte de vue. Sans aucune infrastructure, ni aucune ville. Je commence à saisir peu à peu le caractère sauvage du lieu et sa démesure.  Et je me dis que je n'ai pas fait deux jours de trajet pour rien. L'Alaska que l'on pressente souvent comme le spot ultime pour les skieurs, l'équivalent du North shore à Hawaï pour les amoureux des grosses vagues est fidèle à sa réputation. Devant la beauté du paysage, je comprends pourquoi chaque année les meilleurs riders de la planète viennent se faire photographier dans le 49 ème Etat des Etats-Unis.



Au bout d'une heure, je découvre au fond d'un fjord un minuscule port de pêche et une courte piste d'atterrissage. Et là je suis tout de suite mis dans l'ambiance. Sur le tarmac microscopique, il y a là deux gars avec casques et harnais prêt à monter dans un hélicoptère rouge.




Et un petit bout de femme m'accueille avec une poignée virile et un grand sourire. Ni une ni deux, elle attrape mon énorme bagage de 30 kilos, le met sur l'épaule et le jette dans un pick up plus haut qu'elle où jappe un chien surexcité. A l'intérieur, un auto-radio qui crache de la musique country, des chaussures de skis, un sac, une corde. 10 minutes plus tard, me voilà dans un lodge à l'écouter me rappeler devant un écran les conseils de sécurité pour l'héliski : "Tu connais les règles de sécurité en haut montagne, ici c'est pareil. Il y a deux choses à savoir, à la fin de chaque face, il y a deux crevasses à sauter perpendiculairement. Et quand tu t'élances d'un sommet, vu la pente, il y a une coulée de neige qui devrait te suivre. Si tu ne veux pas qu'elle t'emporte, il y a deux possibilités, soit tu vas droit dans la pente à fond, soit c'est plus simple, tu te décales progressivement sur la droite ou la gauche pour la laisser glisser. C'est compris, tu laisses ton sac dans l'entrée, tu te changes dans les toilettes, je te donnes ton sac air bag, une radio et on y va."





Cela fait plus de 48 heures que je suis parti de Paris et j'ai à peine dormi à Juneau. J'ai traversé l'Atlantique, l'Amérique du nord, je suis à moitié "jet lagué" quand Sunny, le chef guide, me fait faire des tests d'Arva pour savoir si je sais retrouver une victime en avalanche mais je suis remonté comme un coucou suisse. Depuis des semaines, j'appréhende la météo. En général, début  mars les tempêtes sont courantes et il arrive que certains riders repartent sans avoir volé de la semaine, et là miracle il fait beau. Pas question de laisser passer pareille opportunité. "Je ne suis pas là pour acheter du terrain", comme on dit en Savoie.





L'hélico arrive pour faire le plein, bien plus petit que celui que j'employais au Kamchatka. A l'intérieur, je rejoins deux riders américains habitués du lieu qui ont déjà fait plusieurs rotations. L'appareil se pose sur une crête étroite. Atmosphère. Atmosphère. Pas trop le temps de faire la discussion. Mon guide que j'avais  à peine entrevu à l'avant me sourit.  "Salut moi, c'est Tom. Tu skies où d'habitude, Jean-Marc ? A La Grave, c'est cool. Tu vas voir ici c'est un peu le même trip. T'es ready ?" Et il plonge dans la pente. Suivis par les deux Ricains qui ne sont visiblement pas là pour contempler le panorama. Un petit saut depuis la corniche et me voilà sur ses traces en train de passer d'une combe à l'autre. Les trois compères sont partis à un train d'enfer. Heureusement, il y a au moins 35 cm de poudreuse. Cela va vite, à peine je retrouve les autres qu'ils sont repartis. "Ouah. Qu'est ce que c'est ce truc ?" Je mets une descente à me régler.




Je reprends mes esprits et ma respiration dans l'hélico qui nous remonte pour le prochain run. A l'arrivée, nous marchons un peu dans la neige profonde pour passer dans une autre vallée. J'en ai au dessus du genou. Je découvre un vaste de neige immaculé. Tom me montre de son bâton un point en contrebas et il nous indique que c'est le point de ralliement, et descend s'assurer qu'il n'y a pas de danger. La pente est bonne, la neige légère.  Il nous confime par talkie que c'est "tout bon". Je regarde les autres et me rappelle le dicton "No friend on a powder day". Ni une ni deux, je pars sans les consulter à fond en grandes courbes. Je déchire la montage en faisant d'énormes gerbes de neige. Yes ! Et on enchaine jouant avec le relief, en sautant quand les rochers s'y prêtent. Le pied !


Le soir, seul, en défaisant mon sac dans ma chambre, j'ai du mal à me dire que je n'ai pas rêvé. 
Le lendemain rebelotte, le ciel est dégagé. Le breakfast avalé, vers 9 heures, je m'envole avec deux nouveaux américains très sympas en compagnie de Scott Sundberg. Je ne pouvais tomber mieux. "Sunny" est un des guides les plus expérimentés d'Alaska, super pro, très sûr, toujours calme. Il respire la sérénité.


Après deux ou trois runs pour se mettre en confiance, nous sommes chauds. Sunny a eu le temps d'inspecter le coin et donne une indication au pilote. On longe une montagne ultra abrupte. Le pilote essaye à plusieurs reprises de stabiliser l'appareil à proximité d'un crête fine et nous descendons alors qu'il est à peine en surplomb. Ambiance. Nous grimpons la paroi enneigée presque à la verticale pour nous passer de l'autre côté. Et nous découvrons une face impressionnante. 800 mètres de dénivelé à 45%. Gavée de poudreuse. Large. Une pente soutenue mais régulière. Le rêve. Sunny part en traversée pour s'assurer que cela tient puis descend en petits virages d'une traite jusqu'en bas. A part le "slough", la coulée de poudre habituelle qui recouvre ses traces, rien n'a bougé.


J'en crois pas mes yeux. L'accès est un peu délicat, raide. Un des Américains passe l'entrée prudemment et envoie une série de virages. Je l'envie. Depuis le début j'ai vu ma ligne. Six énormes virages. Je bouillonne. J'avance et je pars à Mach 2 porté par l'adrénaline. Ce n'est qu'un long cri de joie. Grisé par la vitesse par cette neige froide qui tient la courbe, je me laisse aller, toujours plus vite. Avec la neige qui gicle de part et d'autre. Un rêve éveillé. Je finis les bras en l'air et je tape dans la main de mes acolytes, les yeux presqu'embués. "J'ai envie d'embrasser Sunny. Incroyable. C'est un des plus beaux runs de ma vie. La descente parfaite. Inoubliable. Celle qu'on attend. Des sensations de malade.


Le soleil est là, et on enchaine les descentes. Chacun choisit son chemin avec l'accord du guide. Tantôt sur des pentes inclinées pour se plaisir tantôt dans des grands vallons pour envoyer du gros. Jusqu'à 17 heures avec une dernière partie de plaisir dans un half pipe naturel rempli de poudre en poursuite presque spatule contre spatule avec un Américain, le tout dans une splendide lumière dorée.


Les jours suivants seront du même acabit. Contrairement à mes pressentiments, la météo s'est installée au beau stable. Aux dires des locaux, il y a eu moins de chutes que les années précédentes, ce qui rend impraticables certaines faces engagées, mais le matelas reste suffisant pour glisser. La neige formée par les dépressions venues du Pacifique légèrement iodées qui viennent se déverser contre les contreforts de l'Alaska tient bien rendant rares les risques d'avalanche même sur des versants très inclinés.


Même si on en a pas jusqu'au cou, elle est belle. Sur les faces au soleil, les flocons forment comme  un manteau brillant. Chaque virage projette des milliers d'étincelles. Formidable impression.


Je me sens bien comme si j'avais été vécu et skié toutes ces années jusque là sans le savoir pour être là au centre de ce terrain de jeu unique. Au milieu de ses vallées glacières qui me faisaient penser à Chamonix ou Engelberg, il y a deux cents ans.




Après les premiers jours avec des Américains, je ride avec des Belges un peu déjantés puis des Français    aussi motivés que moi. Le hasard fera que là où je croyais être scotché par des Scandinaves ou des Anglo-saxons, c'est avec un Toulousain et un Agenais, Max Barros et  Christophe Malbet, que je m'éclate. A celui qui fera le moins de courbe. Peu à peu, Scott puis Ben Anderson comprennent que si nous avons traversé la moitié de la terre c'est pour goûter aux spécialités locales : les spines et les pillows.




Les spines  : des crêtes qui se forment au milieu des  goulets créés dans les pentes très raides par les coulées de neige. Un exercice de style un peu particulier qui consiste à rester sur le haut de cette vague pour éviter de se faire prendre dans les couloirs par le slough qui immanquablement se mettre à partir derrière nous quand on glisse. Une technique qui n'est pas très naturelle car on a plutôt tendance à vouloir prendre les couloirs de part et d'autre mais s'avère grisant.


Et les pillows : d'énormes oreillers de neige qui recouvrent les rochers et qu'on franchit en les sautant les uns à la suite des autres. Un jeu qui rappelle les "vidéo games" car ils sont très rapprochés, pas toujours très larges et on ne voit pas les paquets de neige suivants. Quand l'inclinaison est prononcée, ce qui est un peu la marque de fabrique du spot, du départ, on ne sait pas combien de fois et où on va rebondir. Tout est une question d'agilité, de rapidité de pieds, d'équilibre et de confiante. En quelques secondes, on a vite fait de dévaler 100 ou 150 mètres de dénivelé en sautant comme un chamois.


Mais au-delà de la découverte de ce spot que certains disent "ultime", surtout quand on a la chance de bénéficier d'un hélicoptère pour quatre en guise de remonte-pentes privés, cette aventure aura aussi été une expérience humaine forte.



Les Américains sont des gens plutôt accueillants. Ils ne vous connaissent pas qu'ils viennent vers vous en vous demandant comment vous vous appelez et comment vous allez. Amazing. Ils vous adressent assez naturellement la parole et vous aident bien volontiers. Après l'Alaska, tout comme Hawaï n'est pas forcément représentatif du reste du pays. Surtout dans ce tout petit village de pêcheurs qui vivent un peu coupés du monde quand les intempéries arrivent. Les locaux ne sont pas stressés, chaleureux, volubiles, toujours prêts à dire à l'image des Marseillais mais pas fiables à cent pour cent. Ils sont souples sur l'organisation et les horaires mais c'est ce qu'il fait le charme du lieu. La circulation de l'information est aléatoire. Ce n'est pas parce que l'on dit quelque chose à quelqu'un que c'est sûr et que le message va être transmis. Une décontraction étrange quand on pense qu'ils vivent sous la même bannière que les chefs d'entreprises tayloristes de Chicago, les producteurs de L.A. ou les financiers de New York, des Américains réputés carrés et âpres au gain. Peut être l'Aloha spirit, l'esprit de la glisse qui veut que l'on ne s'inquiète pas de futilités et que l'essentiel est de savoir qu'on est là pour rider entre amis, pour vivre pleinement le moment sans se prendre la tête avec le futur ou ressasser le passé.



Ils sont "zen". "Cool" et "heureux" d'être avec vous. Sans être connecté chaque minute à leur téléphone. Assurément la meilleure façon de profiter de la vie. 
C'est toujours amusant d'entendre le matin la serveuse dire à chaque bout de phrase "wonderfull" ou "awesome. "Vous voulez du thé? fantastique." "Du bacon?  Génial."
L'endroit magnifique avec son fjord remplis de baleines, ses rivières regorgeant de poissons, ses forêts qui résonnent des sifflotements des oiseaux et des grondements des ours bruns. Mais la vie peut être rude. L'entraide est la première des vertus. Impossible de se brouiller quand on est que quelques de centaines reclus du monde en plein hiver et qu'on vit en vase clos à part quand l'été se profile avec les amateurs de pêche miraculeuse ou le printemps avec sa poignée de snowboarders et de skieurs qui apporte un peu d'animation.








Quand on m' a mené à mon appartement non loin de la forêt, en face de l'ancienne place d'armes du fort Seward, mon guide m' a dit :"Il n' y a pas de clé ici, personne n'aurait à l'idée de voler son voisin : tu repousses juste la porte en partant. En revanche ferme bien la porte du placard à poubelle, un ours aurait tôt fait de venir y mettre son nez."






Les habitants d'Haines sont proches les uns des autres, il se dépannent et s'épaulent, le coeur sur la main. Et quand un accident vient à survenir comme cela a pu être le cas lors de mon passage, femmes  et hommes, jeunes et vieux se soutiennent mutuellement. Avec coup de "hugs", d'embrassades pour se réconforter et de paroles sages prononcées les yeux dans les yeux pour faire face. Un esprit de groupe fort et une solidarité à toute épreuve pour surmonter les moments douloureux.







Alors pourquoi de "Haines" dans les magazines de glisse et l'imaginaire des skieurs du monde entier ? Parce que l'on pénètre un peu "into the wild". Parce que ces montagnes inspirent de belles lignes aux riders grâce aux joies de l'héliski. Parce que quand aux premières lueurs de l'aube, on traverse un champ de neige avec de la musique douce dans les oreilles et qu'on voit au delà du fjord, les cimes se parer de rose et qu'on se dit qu'on va aller vivre intensément les joies que la nature nous offrent, on pense que c'est le plus beau jour de sa vie. Parce qu'humainement, on ne revient pas identique d'un tel lieu.



Conseils pratiques : 

Une compagnie d'héliski sur Haines : 
Seaba Heli / http://seaba-heli.com
Une agence de voyage spécialisée dans le Big moutain :
Fabien Nadal
http://www.bigmountain-trips.com/fr-fr/
Et pour s'initier au freeride en France :
Didi Haase Test center Rossignol à La Grave
http://www.snowlegend.com





Et pour prolonger ce voyage pour ceux qui rêvent d'une aventure encore plus sauvage. Voici "Into the wild" version ski en hiver. "Drop in", le trip de Zack Giffin, un très fort skieur filmé par Ben Sturguleswski. Un régal...  Si avec ces images, vous n'avez pas compris pourquoi ce lieu fait rêver les skieurs du monde entier assoiffés de grands espaces et de sensations fortes... 



Drop in with Zack Giffin in Alaska from Outdoor Research on Vimeo.

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