vendredi 28 juin 2013

Le Krakatau en Indonésie : un volcan haut en couleurs. Une aventure hors du commun.



Ah ! les volcans ! J’avais entendu parler de leur force, de leur beauté, de leur chaleur hallucinante. Mais je n’en avais jamais vraiment vu en activité. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. J’avais été en Equateur pour voir le Cotopaxi qu’on m’ avait présenté comme un des plus beaux volcans du monde et j’étais revenu bredouille. Après des jours de voyage, des heures et des heures d’ascension j’avais manqué malgré mon piolet et mes crampons de me faire emporter par une tempête de neige et il s’en était fallu de peu que je ne me transforme en statue de glace… Moins 30° Celsius, un vent à décorner les vaches, jour blanc. La seule chose que j’avais vu du glacier sommital était une toute petite borne jaune sur laquelle était inscrit un nombre : 5897 mètres. Bref, j’avais découvert cette superbe caldeira, ce cône parfait recouvert de neige sur le revers de cartes postales que j’avais envoyé d’Amérique centrale. Une déception . 


Quelques années plus tard, à presque 40 ans, j’avais été retenté par le démon. Pour le coup, j’avais choisi la facilité : un volcan tout le temps en activité, dans un pays chaud, déversant du matin au soir de la lave rouge incandescente. L’ Arenal au Costa Rica. Impossible de le louper. Et pourtant j’avais réussi le tour de force de passer à côté de l’immanquable ! Deux jours spécialement sur place et à l'arrivée, rien, pas une lueur. J’avais entendu des explosions, des craquements, des sifflements. Mais le seul spectacle que j’avais pu percevoir était une purée de poids, une superbe couronne de nuage. Dommage, il est pas mal, lui aussi, sur les cartes postales. Rouge, étincelant, en un mot : séduisant. 




Je me tenais pour maudit. J’avais fini par me faire une raison. Alors en partant en Indonésie, zone de forte activité sismique je ne m'attendais pas grand chose. Je partais pour contempler les célèbres rizières en terrasses de Bali, m’intéresser à la protection des derniers orang-outangs de Sumatra et m’enthousiasmer devant les temples hindouistes de Java. Mais pour les volcans, on verrait bien. Je partais certes dans les traces de Guy de Saint-Cyr, un volcanologue confirmé mais j’avais appris avec  le temps à ne pas trop m’enflammer. 







Alors sur le bateau qui me menait de Carita au Krakatau, je laissais les autres parler. C’était un des volcans les plus actifs, un des plus meurtriers aussi : 40 000 personnes décédées d’un coup. Une légende : en 1883, lorsqu’il avait explosé, le ciel s’était obscurci à 200 km à la ronde, la détonation avait été entendue jusqu’en Australie, à 5000 km du cratère et il avait déclenché un raz de marée énorme avec des vagues de 40 mètres de haut. Impressionnant, mais c’était le passé. On allait bien voir. Au pire, ce serait une ballade sur un îlot perdu avec des pécheurs souriants. Avec sur le chemin, des varans, de serpents des mers voire des serpents volants. 





Au bout de trois heures de navigation en pleine mer, comme la plupart des passagers, je somnole sur le pont. Tout à coup, des cris lancés depuis une embarcation me sortent de ma torpeur. Des pêcheurs nous hèlent chaleureusement. Ils s’activent à remonter des filets bien remplis. Curieux, me dis-je. Nous sommes en pleine mer. Pourquoi donc venir si loin des côtes pour pêcher ? Un oiseau blanc passe et je comprends soudain. Au loin, des ombres apparaissent. Plus hautes que ce que j’imaginais, des parois abruptes sortent de l’eau. Une première île, souvenir de la première très grosse explosion du Krakatau. Puis deux autres, moins spectaculaires et un peu cachées, datant d’éruptions plus récentes se dessinent sur l’horizon. 


Notre pilote nous dit que quelques jours plus tôt, une énorme explosion avait salué son passage à proximité, refroidissant les ardeurs des visiteurs. Par précaution, on mouille à quelques encablures de la côte du cratère principal, histoire de manger quelques poissons frais cuisinés par l’équipage et apprécier la vitalité du volcan. Fatigué des odeurs de fioul et de piments, je vais tranquillement déguster mon plat à la poupe du bateau. Au calme. J’écoute le clapotis des vagues, et je profite de la chaleur du soleil. Tout à coup, un grand bruit me fait sursauter. Dans un mouvement réflexe, je manque de renverser mon assiette. Tout le monde se précipite à l’avant du pont. Du cône sort une grande colonne de fumée. Noire puis gris pâle. Un panache qui monte bien à 600 mètres de haut. Spectaculaire. 

La où le ciel était bleu, le paysage s’assombrit. Cela dure 30 secondes environ. Mes compagnons de voyage sont debouts. Ils prennent des photos pour immortaliser cette première rencontre. Le volcan est là. Bien là. Actif. Les commentaires enthousiastes fusent. A peine le temps de s’exclamer, que de toutes petites poussières noires se mettent à tomber du ciel. Une fine pluie de lave. Les bancs et les bâches blanches du bateau sont rapidement recouverts d’une pellicule anthracite d’un demi centimètre. Nous nous regardons hilares. Le vent a rabattu le nuage vers nous et nos visages sont badigeonnés de cendres. 


La décision est prise de contourner l’île et de débarquer dans un endroit sûr, à l’abri des projections. Nous sautons du bateau. La plage est noire : il fallait s’y attendre.



L’endroit ressemble à l’île de Robinson. Des arbres verdoyants, une petite cabane construite sur le sable et des crabes aux couleurs insolites. A une exception, une grande pancarte barrée d’un avertissement. Danger. Interdiction de séjourner sans autorisation. Pas de quoi cependant nous arrêter. Nous nous coiffons d’un casque, prenons nos appareils. Et c’est parti. Direction le sommet. 




La forêt est épaisse. Délicat de se frayer un chemin. Il faut dire que l’endroit n’est pas très fréquenté. Nous nous élevons au milieu des fougères et des arbustes. Peu à peu, la végétation se fait plus rare. Le paysage devient lunaire. Le sol est sablonneux. La pente se fait plus raide approchant parfois les 35 degrés. Nous nous enfonçons, nos pas se font plus lents. Le souffle plus court. Nous montons en silence jusqu’à un petit replat d’où nous pouvons apercevoir distinctement le cône. Guy, qui connaît bien l’endroit pour le fréquenter depuis près de 30 ans, nous montre de grandes combes creusées par les dernières coulées de lave qui ont dévalé jusqu’à la mer. Nous le suivons sur le contrefort du cratère jusqu’à l’observatoire censé envoyer les relevés de secousses telluriques et donner l’alerte. Cela se passe de commentaires. Il ne reste plus rien. Les planches gisent éparpillées, écrasées par d’énormes blocs de pierre. Les panneaux solaires sont éventrés, les machines complètement détruites. 






Nous asseyons sur une crête quelques mètres en contrebas. Un promontoire bien placé d’où l’on peut observer les soubresauts de l’Anak Krakatau, le fils du Krakatau, comme il est surnommé par les Indonésiens. Pas besoin d’attendre trop, le volcan se réveille par intermittence. Toutes les heures environ, un craquement se fait entendre, des centaines de roches en fusion sortent d’un coup et d’épaisses fumées sombres s’élèvent. Nous sommes à peine installés qu’une première fumée sombre monte, suivi d’une forte explosion qui projette en l’air des centaines de blocs de taille conséquente. Des mini-bombes qui retombent aussi sec dans un bruit sourd, puis qui rebondissent sur les parois du cratère. Etonnant. 



Appareils photographiques sur pieds, nous attendons les suivantes. Gérard Plancheneault, le photographe du groupe, formidable pédagogue, donne des conseils à Guy. Temps de pose, sensibilité, vitesse, tout y passe… Il n’ a pas le temps de finir son briefing qu’une autre éruption se déclenche. Clichés en rafale. On y est. L’ambiance est des plus excitantes. Il est rare de se retrouver dans pareil univers. Sur un îlot loin de tout. Avec un volcan actif connu dans le monde entier à moins de deux cent mètres face à nous et dans le dos le célèbre Détroit de Sonde. Le soleil commence à décliner et la mer se pare de superbes couleurs. A nos pieds, on découvre une jolie hanse arborée vert clair qui tranche avec le bleu des flots. Et plus loin, un morceau de l’ancien Krakatau qui sort de l’eau comme une cathédrale. La lumière dorée du coucher du soleil rend le décor magique, irradiant les visages tournés vers le sommet. 


Gérard Plancheneault et son Nikon. 


Tout est calme. Personne ne parle. On entend juste les oiseaux. Jusqu’au moment où une nouvelle explosion fait trembler le sol. Tous les yeux se fixent vers le volcan. Un haut panache se découpe en ombre chinoise sur le ciel dégagé. Et comme par chance, aucun nuage ne vient masquer les pentes du cône, ses lignes régulières se détachent nettement. Une noble silhouette surplombée de volutes sombres qui montent calmement. 




Le jour tombe petit à petit. Chacun se calle contre un rocher et se couvre chaudement en prévision de la longue nuit qui s’annonce. Pierre, notre chercheur, géologue motivé et oenophile à ses heures, sort une bouteille d’apéritif. Les verres passent. Les corps se réchauffent et les langues se délient. On commente avec passion les premières irruptions quand là le cratère se met à rayonner. Avec le noir, on perçoit moins les fumerolles, mais les bombes sont plus visibles. 



Parfois jaunes, le plus souvent rougeoyantes. Au contact de l’air, les scories changent de teinte. Le fer contenu dans la lave chaude s’oxyde et devient rouge. Du coup, les flancs se strient de lignes orangées chaque fois que les blocs en fusion rebondissent. Enfin, je touche ce que je suis venu chercher. Des gerbes de feu qui jaillissent. Une fontaine qui brille de multiples scintillements. 


La mise en bouche nous a donné envie. Il faut juste s’armer de patience. Une heure. Une heure à discuter, à regarder les étoiles, à rêver. Mais quelle joie lorsqu’ une nouvelle explosion se fait entendre. Pas de coulée comme j’aurais pu l’imaginer, juste des projections. Et quelles projections ! Autant à la tombée de la nuit, on devinait des lueurs rouges grosses comme des mégots de cigarettes, autant on aperçoit maintenant de belles lignes orangées. Pendant vingt ou trente secondes, les blocs écarlates sortent à toute vitesse. Et retombent sur le sol après être montés à plus de cent de mètres de haut. Beau spectacle. Surtout que les pierres dévalent sur le flanc du cône, ricochant tous les dix mètres. 

Une fois, deux fois, trois fois. A chaque fois, la même sensation. La fascination de sentir le pouls de la planète, de l’entendre respirer. De la sentir vivre. De ne plus compter le temps en journées ou en années mais d’imaginer la Terre sur des milliers d’années. Une toute autre dimension. En regardant les gerbes surgir à intervalle régulier, on a le sentiment de plonger au plus profond de notre histoire. 





Une longue nuit commence. Rythmée par les explosions. D’heure en heure, de nouveaux détails apparaissent. L’orientation des projections change. Après les avoir contemplées de profil, assez loin, elles se rapprochent. Imperceptiblement, elles se rapprochent et tournent de 10 degrés en 10 degrés. Au fur et à mesure, nous les voyons de face, ce qui les rend plus lumineuses encore. Un changement qui nous remplit d’allégresse car chacune nous apporte son lot de surprises. Sur certaines d’immenses éclairs blancs viennent zébrer le ciel. Des zébrures dignes des soirs d’orage. 


Guy, Gérard et Béatrice, le docteur de la bande, tous amoureux de photos se régalent. C’est à celui qui aura la plus image. Et entre les explosions, ils devisent sur les optiques à grande ouverture, le déplacement des miroirs dans les boîtiers, les temps de pose nécessaires sur les scènes d’action et les vitesses d’obturation des Nikon numériques. Vastes débats. Capable de les maintenir éveillés des heures et d’endormir aussi sûrement les moins technophiles. 



A une heure du matin, l’attention est maximale. A quatre heures du matin, l’intérêt pour ces sujets a tendance à se relâcher. Dès lors, tout est bon pour ne pas fermer les yeux : Ipod, étirements, voire baisers. Quand certains parlent focales, trépieds et déclencheurs, d’autres rigolent en se rappelant les répliques d’OSS 117, le Caire nid d’espions. « - Avant de partir sale espion, fais-moi l’amour !- Non je ne crois pas non...- Pourquoi ?- Pas envie... » « Tu n’es pas seulement un lâche, tu es un traître, comme ta petite taille le laissait deviner. »




Sur ce type de volcan strombolien, la patience finit toujours par payer. A une nuance près : si la moyenne entre deux éruptions est d’une heure, elle varie de 30 minutes à 1 heure 30. Et plus le temps est long entre deux explosions, plus la déflagration est importante. A 4 h 30 du matin, alors que certains piquent du nez, en une fraction de seconde, le ciel devient complètement orange. Un énorme halo entoure le cône sur lequel se découpent des gros blocs de lave. Une gerbe splendide suivie pendant dix secondes du grondement des pierres qui roulent le long de la paroi du Krakatau finissant leur course à nos pieds. Etrange impression. Sitôt les dernières flammèches éteintes, le panache s’efface balayé par le vent et le silence enveloppe à nouveau le sommet indonésien.   


Les photographes sont aux anges. Ils tiennent leur cliché. Reste maintenant à déterminer si l’on va se coucher ou non. Il se fait tard. Ou tôt, c’est selon. Faut-il encore attendre une heure pour voir un spectacle sensiblement identique ? Certains pensent au sac de couchage laissé sur la plage, les autres se disent qu’ils n’ont pas fait le tour du monde rien et conquis par l’ambiance estiment que dans un tel cadre peu importe mérite une nuit blanche. Du coup par solidarité, ne voulant pas priver les plus motivés d’une dernière photo, le petit groupe décide de rester sur place. Chacun parie sur une irruption rapide. Une demi-heure après, rien. Une heure, toujours rien. Une heure et demi, pareil. Ceux qui de toute façon ont abandonné tout espoir d’obtenir une image digne de ce nom avec leur appareil compact digne de ce nom commence à trouver la veille un peu longue. Une heure trois quart, aucun signe d’activité en vue. Deux heures, idem. Une certaine lassitude se lit sur les visages quand soudain, un gros vacarme retentit. Le volcan resté sans vie plus de deux heures se met à cracher des monceaux de roches en fusion à une hauteur incroyable. A peine le temps de régir qu’on entend tout proche le bruit sourd de gros blocs qui s’abattent à quelques mètres de nous. Nous sommes juste en dessous du bombardement. Ni une ni deux, je raccroche la sangle de mon casque et le maintient solidement sur la tête avec mes deux mains. Les impacts redoublent. Ne sachant comment réagir, je recule de quelques pas en arrière pensant m’abriter un peu derrière un gros rocher. Las, une bombe énorme atterrit à trois mètres dans mon dos. J’entends des branches d’arbres casser un peu plus bas dans la pente. La force de projection est énorme. Je ne sais plus que faire. Cela tombe devant, cela tombe derrière. Mon pouls s’affole. Banbam, banbam, banbam… J’avance du coup à toute vitesse me plaçant derrière Guy et je me recroqueville tout en gardant les yeux bien en l’air pour éviter les météorites. Les battements de mon cœur s’accèlèrent. Banbam, banbam, banbam… Une seconde, deux secondes, trois secondes, quatre secondes. Les pierres continuent de rouler et de sauter un peu partout sur les parois. Progressivement, le calme revient. Et je vois les derniers blocs en flammes s’éteindre peu et peu. Emotions. 
L’explosion avait été plus forte que les précédentes et les bouts de lave avait été propulsés bien plus loin que lors des toutes premières éruptions. Le bouchon trop longtemps retenu avait éclaté avec plus de vigueur. Heureusement, la majorité des pierres étaient passées plus à gauche ou au dessus de nous. Après cette dernière secousse très impressionnante, chacun y va de son commentaire. L’effet de surprise avait été total. Personne n’aurait parié sur une telle projection. Jusqu’à présent, les neuf autres explosions s’étaient toutes arrêtées à distance, légèrement sur notre gauche et nul n’avait imaginé être arrosé comme cela. Soulagé, tout le monde sourit, un verre à la main, histoire de reprendre ses esprits. Le jour vient de se lever et l’horizon se dégage. Gérard et Béatrice replient leurs pieds et rangent leurs objectifs tranquillement. Inutile de tenter le diable. Surtout que c’est l’heure de regagner notre embarcation. 


L’un derrière l’autre nous remontons sur la crête de notre promontoire. Guy avance lentement en tête avec sa démarche si particulière. Je ferme la marche. Je regarde en arrière et je tente de graver dans ma mémoire ce cône qui nous aura fait rêver. La lumière du matin est douce. Je sors mon appareil de mon sac espérant secrètement une ultime éruption. Je vais doucement. Dans l’espoir de fixer une dernière fois les feux du cratère, je laisse les plus pressés prendre de l’avance sachant que dans la descente, je les rattraperais sans mal. En retrait du groupe, qui a déjà commencé à plonger vers la plage, je confie mon rêve à Annie. Je lui demande depuis combien de temps, le volcan a retrouvé le silence. « 45 minutes, ce n’est pas la peine d'attendre : on peut oublier » me répond-elle. L’intervalle entre deux explosions étant d’habitude d’une heure, je me résous à prendre une dernière image sans grande originalité avant d’entamer la descente. Mon appareil en main, je lève la tête vers le sommet. Et là je n’en crois pas yeux : une fumerolle sombre commence à poindre. A peine ai-je esquissé un geste du bras pour prendre une photo, qu’un énorme panache anthracite apparaît. Je n’ai même pas le temps de presser sur mon déclencheur, qu’une gigantesque explosion retentit. 



Un énorme champignon rouge sang emplit le ciel. Je ne distingue quasiment plus rien : qu’un nuage écarlate parsemé de gros blocs rouges et noirs qui se dirigent vers moi. Plus question de prendre une photo. Ni une ni deux, je me retourne. Et dans un instinct de survie, me mets à sprinter. Droit dans la pente. Comme jamais. Je tourne juste les yeux pour voir les pierres qui s’abattent tout autour de moi.




Le spectacle d’apocalypse derrière moi n’est pas sans me rappeler les affiches de films de guerre. Celles où l’on voit les héros détaler devant d’immenses boules de feu, avec des balles qui fusent à droite et à gauche. Sauf qu'en l'occurence c’est moi qui cours, qui joue ma peau et que mon nom ne barre pas un placard publicitaire . Il y a des impacts partout sur le sol. Devant moi, c’est la folie. La plupart de mes compagnons sont à terre, Guy leur hurle de lever les yeux, de remettre leur casque. Certains sont tombés. D’autres ont perdu leur sac en route.


 En quelques foulées, je les ai rattrapé et dépassé. Aucune panique en moi, juste une pensée : me mettre hors de portée des bombes. Je saute dans le vide et je fonce comme lors mes plus belles descentes à skis. Je dévale les flancs du promontoire en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Je cours avec une seule idée : tracer, tracer : m’éloigner du cratère. Au bout de plusieurs secondes, je sens que le bruit s’atténue. Je ralentis et je souffle. Je n’en reviens pas  mais je suis indemne.
Gérard Plancheneault et Béatrice Serre Kuperberg.


J’ai immédiatement une pensée pour mes compagnons. Vu l’intensité de l’explosion, il est inconcevable qu’ils ne soient pas touchés. Devant moi, il y a des scories partout. Derrière, le spectacle est pire encore. Difficile de distinguer quelque chose. Un épais brouillard gris enveloppe le cône du Krakatau. Je devine juste quelques ombres. Quelques silhouettes pâles. Le nuage se dissipant, j’aperçois Gérard et Béatrice. Complètement couverts de cendres. Ils sont figés. Pareils à deux statues de plâtre. Guy est derrière eux, un peu hagard. Nous nous comptons. Nous sommes tous là ! Sains et saufs. Pas un blessé… Un  miracle ! Notre heure n’avait pas sonnée.


B Serre Kuperberg, G Planchenault et G de Saint Cyr.


L’ambiance est étrange. J’ai l’impression d’évoluer dans du coton. Les bruits sont comme assourdis. Autour de nous, les cendres masquent les contours des reliefs et c’est à peine si l’on perçoît l’immense panache qui continue de surplomber le volcan. A part sur les photos des décombres du 11 septembre, je n’ai jamais vu un tel paysage cataclysmique avec des personnages déambulants hagards sans trop comprendre. 






Nous sommes tous un petit peu sonnés. Déroutés par cette explosion qui nous a tous pris de court. Et heureux d’avoir réchappé à l’expérience la plus forte qui nous ai été donnée de vivre. Il nous faudra quelques minutes pour réaliser. La déflagration avait été sans commune mesure avec celle qui avait précédée, projetant des roches presque jusqu’à la plage. En descendant dans la forêt, nous découvrons des branches cassées par les projectiles et d’impressionnants trous dus à l’impact des blocs de lave. Un d’entre eux fait près d’un mètre de diamètre avec au fond une concrétion de la taille d’un pneu de voiture. Dire qu’on aurait pu être touché : rétrospectivement personne ne fait le malin. Surtout que cinq minutes après la chute, la lave solidifiée est encore chaude. Les conversations sont rares. Il n’ y a rien a dire. Plus ou moins consciemment, nous avons tous le sentiment d’avoir tiré le gros lot au loto.

Nous atteignons tranquillement la plage. Rien n’ a changé sur notre campement. Sans trop parler, nous nous changeons pour nous baigner. L’eau est chaude, réconfortante. Enfin propre, délassé, flottant sur le dos, avec le Krakatau en fond, je revis la scène. Jamais, je n’aurais imaginé me retrouver dans une telle situation. Je me sens plein. Fort. Heureux d’avoir vécu un moment privilégié. D’une intensité rare. Un de ces instants qui marquent une existence. J’étais venu observer la beauté des volcans, j’avais découvert leur force. Leur puissance phénoménale.



 Je pensais au cours de mon voyage me contenter d’un rôle de spectateur passif, touriste hébété par les couleurs chamarrées d’un joyeux feu d’artifice. Rien du tout. J’avais été acteur. J’avais ressenti au plus profond de moi-même des sensations sublimes. Un curieux mélange de peur et d’excitation. J’avais eu de la chance. Mais pas forcément celle que l’on croit. Celle d’avoir participé à une expérience hors du commun. Celle d’avoir touché du doigt un aspect méconnu des volcans, leur démesure, leur violence démoniaque. Et de m’être introduit quelques secondes dans l’intimité de la planète. 





Photos : Jean-Marc Paillous, Gérard Plancheneault, Béatrice Serre Kuperberg et DR

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