samedi 14 avril 2012

Les mash-ups, des pots-pourris pour rire ou pour rêver




"Welcome on earth." Bienvenue sur Terre. C'est la vidéo du moment. Un clip qui met en avant les beautés et les joies de la vie sur Terre. Des images sublimes et un montage rythmé à partir d'éléments hétéroclites pris à droite et à gauche. Plus d'un million de vues et ce n'est qu'un début. C'est l'illustration d'une tendance forte du moment sur le web : le mash-up, autrement dit le montage et le détournement d'images, de musiques, de dessins animés, bref d'ingrédients qui en principe n'ont rien à voir les uns avec les autres mais qui mis bout à bout prennent une autre dimension.

En l'occurrence, avec cette compilation d'images HD montées sur "Lights", la jolie mélodie d'Ellie Goulding, l'accent à été mis sur la nature, l'adrénaline et les sports de glisse. Mais cet exercice peut très bien  être réalisé avec des extraits de films, de concerts, de série télévisés, des brides d'émissions télé ou des captures d'écrans de jeux vidéos. Le dernier en date réalisé par Alexis D'Anna mélange les bandes annonce de Cloclo et de Drive. Gros buzz pour un clin d'oeil monté le 27 mars dernier à l'arrache sur un coup de tête à deux heures du matin.



"Famous movies with cats", l'autre création à succès de ces dernières semaines fait se télescoper des scènes mythiques du cinéma et de courtes vidéos de chats filmés dans des situations improbables. Surfant sur le phénomène des lol cats, ces petits films qui font fureur sur la toile où l'on voit des chatons dégringoler des chaises ou jouer avec des pelotes de laine l'air malicieux, ce petit délire posté le 29 mars sur You tube a déjà été vu 300 000 fois. Faut dire que ce pot-pourri pour rire réunit nombre de dialogues qui font le délice des cinéphiles : Taxi Driver, Scarface, Casablanca, Seven, "2001, l'Odyssée de l'espace"...



Au départ, le mash-up, parfois surnommé bootleg, est un terme utilisé en musique, une pratique qui consistait à mixer dans un même morceau les pistes de plusieurs titres existants.  Et à en faire une bonne purée (mashed potatoes en français). Avec Internet et le développement des plates-forme de partage en ligne, les cordons-bleus, pros d'Avid ou de Finalcut ont pu ajouter crème fraîche et fromage, vidéos et bruitage. Démonstration avec  Miss Sue Teller, une grand-mère tellement déjantée que certains disent qu'elle est saoule Teller.


Aujourd'hui, les tables de mixage, les ordinateurs ont remplacé les platines et en soirée les DJ se régalent à passer d'un tube à l'autre. Avec plus ou moins de dextérité. Les plus doués pouvant ainsi mixer une dizaine de titres en même temps. A l'image de Hugo Leclerc, petit prodige de l'électro pop. 17 ans à peine et déjà star qui a réussi l'an dernier un mix avec 39 titres et non des moindres puisqu'on retrouvait Goota Feeling des Black Eyed Peas, qe Baby One more time de Britney Spears, Aerodynamic de Daft Punk, Mister Blue Sky de ELO ou Hung up de Madonna. Une play list branchée plutôt agréable résumée avec talent en moins de quatre minutes, 3 minutes 25 pour être précis. Une belle prestation qui a valu à son auteur surnommé Madeon une énorme notoriété, la vidéo de son mix comptabilisant plus de 10 millions 400 000 vues sur You tube.



Avec YouTube, Dailymotion et les autres comme terrains de jeu, l’art du mash-up vidéo connaît aujourd’hui son âge d’or. Depuis quelques années (YouTube et Dailymotion datent seulement de 2005), les internautes ont commencé à découper des séquences vidéo, triturer des bandes sons, bidouiller des raccords. Ils réalisent des play-lists idéales. Et chaque fin d'année, depuis deux ou trois ans, certains accros montent ainsi le best of de l'année en musique où l'on peut revoir les passages les plus marquants des clips qui ont défrayé la chronique au cours des douze derniers mois. Le Top of the pops 2001 de BenStiller, artiste d'origine allemande reprend ainsi Hangover de Taio Cruz, Party Rock Anthem de LMFAO ou Rolling in the deep d'Adèle.




Les mash-ups sont légion sur la toile. Un des plus célèbres et un des plus vieux étant le remix de titres ultra connus des Pussycat Dolls et de Michael Jackson. Deux clips assemblés avec talent, très fluide où l'on glisse de l'un à l'autre sans problème...


  

Parfois émouvants, ces medley témoignent souvent d'une grande culture musicale. Et les Anglo-saxons sont champions dès qu'il faut se souvenir des standards de la pop. En France, les créateurs sont plus facétieux. Ils brillent moins par leur connaissance que leur virtuosité au clavier et leur envie de délirer. Ce qui donne des ovnis et des perles à pouffer de rire. La French touch est placée sous le signe de l'humour et ces dernières années. On a vu apparaître sur les sites français pléthore de détournements cocasses, mettant des images de concerts sur des musiques qui n'ont rien à voir. Des parodies hilarantes.



L'école française superpose des interprétations qui n'ont rien à voir entre elles, en mettant de la variété sur des captations de hard rock où en faisant jouer des titres punk rocks à des artistes connus dans d'autres registres.



Plus la ficelle est grosse, plus le titre est populaire, plus cela marche. C'est efficace, cela fait sourire mais cela demande un art consommé du montage pour éviter les contre-temps, les raccords douteux. Il faut savoir utiliser à bon escient les plans de coupe, les plans de dos, les plans larges, les plans de grue sur la foule quand, de toute évidence, les artistes ne sont pas dans le rythme. Bref savoir remonter intelligemment.



Tout l'art est dans le décalage et la distance entre l'air de départ et l'image de l'artiste choisi pour la vidéo. Francky Vincent interprété par Indochine, Jean-Luc Lahaye par les Scorpions, Pierre Billon par Kurt Kobain, La Compagnie Créole par Kiss, Les Inconnus par les guns n'Roses. Si les univers s'opposent, les raccords sont réussis, l'effet est garanti.



Popularisée par le monde musical, la mode du mash-up a gagné d'autres univers comme ceux des jeux vidéos, des séries télévisées ou du cinéma. Soit pour rendre hommage, soit pour faire rire. Le mélange des genres donnent souvent un sens différent à une séquence vidéo. 
Les mêmes images ne produisent pas les mêmes effets selon que l'on met la BO d'origine ou une mélodie plus farfelue. Exemple avec le délicieux Mary Poppins transformé en film d'horreur juste par l'ajout de bruitage gore ou effrayant. L'utilisation de la bande originale du film "An American Hauting" composée par Caine Davidson  et de quelques sons bien choisis métamorphosent la petite fable de Disney en cauchemar.



Faute de pouvoir reprendre les images de chefs d'oeuvre du septième art, eu égard aux doits et la difficulté de digitaliser des longs formats, les monteurs préfèrent souvent piocher dans les bandes annonces. Le carambolage entre deux films cultes avec la dramatisation et les slogans marketing qui sont de mise dans les trailers est parfois surprenant. Comme la rencontre entre Pulp fiction et Star wars.



Les séries TVne sont pas en reste... Star Trek revu et corrigé façon Brokeback Moutain est tout de suite plus glamour. On n' ose imagine ce que cela aurait donner avec la Petite Maison dans la prairie.



Parmi les inserts les plus utilisés, ceux qui tiennent le haut du pavé sont incontestablement : Star trek, Kill bill, Borat, Pulp fiction, Scary Movie, Requiem for a dream, Broke back moutain et ses situations ambiguës et le plus récent Drive. Parodie. Parodie. Ces exercices de style sont des bonnes récréations pour les as du clavier et de la souris. Seuls le sens du rythme et le respect des règles de montage peuvent faire passer les scénarios les plus absurdes. 



Ludiques, créatifs, la profusion de ces oeuvres qui sont souvent des clins d'oeil, des hommages d'amateurs. Bien polies, ces idées originales, cette discipline "so 2010" s'apparentent à de l'art. Et signe des temps, la matière première provient du net. Et c'est là où le bat blesse. Question droit d'auteurs, ce n'est pas génial, génial. Les artistes qui se sont donnés du mal à faire de belles images ou imaginer des mélodies efficaces à la sueur de leur front ont du mal à accepter qu'on puisse dans leurs créations sans leur demander d'autorisation. Mais ils ne peuvent pas courir après tous ceux qui s'en emparent discrètement car ce serait un combat sans fin. Parfois contre des fantômes.
Pour une diffusion entre amis, ou sur le net, tant que cela ne porte pas atteinte à la notoriété de l'oeuvre de base, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. Le seul risque pour ceux qui s'adonnent à ces pot-pourris est de voir retirer leurs créations des sites de partage. 
Mais le débat est là. Le même qui anime en Europe, les pro et les anti Hadopi, les pro ACTA, soucieux de faire respecter voire d'élargir le droit sur la propriété intellectuelle et les anti, souvent jeunes, qui prônent la liberté d'expression sur la toile avançant que de tout temps on a revisité, réinterprété les oeuvres du passé. Avec le remix musical et vidéo, la notion de copyright est un peu malmenée surtout quand on multiplie les sources d'inspiration et les emprunts dans une même oeuvre. Peut-on encore parler d'oeuvre originale? C'est un terrain mouvant et les responsables politiques ne sont pas tous sur la même longueur d'ondes. Viviane Reding la commissaire européenne chargé de la justice et des libertés publiques serait plutôt laxiste au vu des multiples manifestations d'internautes qui sont descendus dans la rue, les chefs d'Etat des 27 et leurs ministres bien briefés par les majors du cinéma et des maisons de disques sont sur une position plus répressives. Pour combien de temps encore? Purée, difficile à dire.

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