samedi 14 janvier 2012

Les redoutables fiascos de La Redoute : la mauvaise e-réputation




Redoutable Redoute. Un cas d'école : le "bad buzz" par excellence. Le 4 janvier au matin, le géant de la vente par correspondance lance sur son site  une nouvelle collection de vêtements pour enfants : des petits hauts et des shorts colorés à  prix imbattables. 9 euros 99 le tee- shirt !  L'annonce accompagnée d'un cliché où l'on voit de jeunes mannequins arborant les produits phares de la ligne d'été  sur une plage est diffusée sur Laredoute.fr et sur la page facebook de l'entreprise.  Jusque là, rien de très normal. Tout baigne !



Sauf que quelques heures à peine après sa mise en ligne de cette offre alléchante, un consommateur  a repéré une très légère anomalie. En utilisant l'outil zoom mis en place pour observer les finitions de certains produits, ce client curieux découvre en arrière plan un homme nu rentrant dans l'eau. Il n'en croit pas ces yeux et s'empresse d'en faire part à ses amis, histoire de les faire rire un peu. Ils s'échangent quelques blagues du style quand "on voit l'anatomie du baigneur, on comprend pourquoi les enfants rient"ou"DSK dément formellement être l’homme sur la photo". En moins d'une heure, le cliché est repris et commenté sur les réseaux sociaux. 

Une agitation que ne manque pas d'attirer l'attention de  Human to human, une société de veille qui analyse les tendances du net et qui repère le buzz. Les consultants qui travaillent pour le VPCiste et en informent leur client. Malheureusement pour eux, ce ne sont pas les seuls à avoir dénicher cette coquille, "10minaperdre" tombe sur la perle et le diffuse peu après midi.  Le site humoristique a 45 000 abonnés et un très grand nombre de lecteurs occasionnels. Une cellule de crise est mise en place à La Redoute avec la directrice de com et la communauty manager de l'entreprise, mais le temps que le service de com ne réagisse, le buzz a pris une ampleur folle. Ce fait d'hiver pris dans une crique ensoleillé illumine les journées de ceux qui ont repris mollement le travail dans la grisaille. Sur Twitter, les enfants, le modèle, et la société du Nord-Pas-de-Calais sont rhabillés pour l'hiver. 
  • @isadaqueen: vous croyez que je peux postuler à La Redoute, je pense qu’un poste de graphiste s’est libéré aujourd’hui… #laredoute #mecàpoil
  • @Mr_Moteuchi: #Laredoute s’offre de la pub gratos. Je savais même pas que cette enseigne existait encore.
  • @Tristan_NvelObs : Le plus choquant dans cette photo de la redoute, ce sont les vêtements des enfants

    Il faudra attendre le milieu de l'après-midi, pour que le distributeur nordiste ne prenne la mesure du phénomène.  Plutôt que d'enlever la photo tout de suite, à 13 h 27, ses dirigeants ont juste désactiver la fonction zoom de leur catalogue en ligne. Pas très réactifs. Ce n'est que trois heures plus tard, à 16h27 que  le distributeur fait son méa culpa sur le net via Facebook et Twitter.  "La Redoute vous présente ses excuses pour la photo publiée sur son site et fait le nécessaire pour la supprimer. Nous avons pris le parti de supprimer l’ensemble des posts incluant cette photo. Nous sommes conscients que celle-ci puisse heurter la sensibilité des internautes."


    Trop tard, le mal est fait. Alors que "La Redoute" est mentionnée une centaine de fois par jour quand il n’y a pas d’événement particulier, les 4 et 5 janvier dernier, la marque a été citée plus de 10.000 fois chaque jour. La marque a été le nom le plus évoqué sur les réseaux sociaux en France pendant ces deux jours. Les blagues discréditant la marque ont en effet continuer de plus belle pendant plusieurs jours souvent grivoises, du genre "on comprend pourquoi les enfants courent".
    L'incompréhension est grande devant une telle négligence. La société se défend en disant qu'elle poste des milliers de photos chaque année. Un argument pas totalement convainquant. Wojciech Pawlack, web désigner, spécialiste de l'image, leur répond en expliquant par A plus B que la retouche nécessaire sur le cliché n'était pas vraiment compliquée et qu'en un quart d'heure, une correction était possible.



    Difficile de dire si le coup est prémédité ou non. Il y a quinze ans, les internautes, moi le premier, se faisaient déjà passer une photo de famille où de jeunes bcbg se faisaient prendre posant sur une plage sans s'apercevoir qu'un nudiste à l'anatomie bien en évidence était allongé sur une serviette derrière eux. Pour ceux qui suivent la vie du web comme moi, impossible de ne pas faire immédiatement le rapprochement. Le temps mis par les responsables de la communication pour retirer le cliché est de ce point de vue pour le moins étrange. A part pour faire du buzz, difficile de trouver un semblant d'explication. 


    Le plantage marketing est énorme. La société qui avait pour prétention d' être une marque fashion est devenue synonyme de vulgarité. Elle se voulait mode, elle est aujourd'hui en mode "rejet". L'association du sexe et d'une marque grand public choque. Surtout que la campagne promotionnelle met en scène des enfants et que l'anatomie du nudiste est plutôt visible. En terme de notoriété, le faux pas de l'homme qui marche dans l'océan est considérable. Certains vont même citer Pedobear, un ours aux tendances pédophiles comme prochain cadeau proposé par la firme. Un site tumbler potache intitulé La Redoute en vacances et sous-titré "La Redoute en mode Pedobear" est même créé. Le sujet est sensible surtout dans le Nord de la France et en Belgique, l'impact catastrophique.







    En deux jours, les détournements du cliché fleurissent sur la toile. "L'homme nu de La Redoute" est devenu un "meme". Le nudiste est détouré et replacé dans des situations décalées, histoire de ridiculiser la légèreté des dirigeants de La Redoute. Une tendance ironique courante aux Etats-Unis mais encore peu répandue en Europe. C'est même le premier grand  "meme" français. Un concours de parodies est lancé. Le vacancier qui marche nonchalament le sexe à l'air et dont nul ne connaît l'identité se transforme en deux temps trois mouvements en une icône et se retrouve placé au gré de l'imagination des uns et des autres dans toutes sortes de contextes, le plus souvent farfelus. On le retrouve ainsi en arrière plan du film phare de ces dernières semaines : "Les Intouchables" ou sur des affiches de cinéma.



    Mais curieusement, sans doute année présidentielle oblige, le touriste déshabillé est mis au milieu d'hommes et de femmes politiques. Comme pour mieux attirer l'attention sur ce bug et faire grossir le buzz.




    On le voit ainsi à coté du Président de la République dont certains clichés de vacances avaient fait, eux aussi, la Une des journaux.





    Voire en train de descendre les marches du perron de l'Elysée.



    Les graphistes retoucheurs ont surtout eu tendance à s'inspirer de l'actualité et, vu le sujet, fait le rapprochement avec une affaire de moeurs récente : l'agression sexuelle sexuelle perpétrée par DSK dans une suite de New-York. 



    Pour mieux rire de ce grain de sable dans une communication un tant soit peu prétentieuse, l'association d'idée la plus simple a été de retrouver de grands événements qui ont eu lieu sur des plages. Notamment les débarquements.





    Les parodies ne concernent pas que les photos les plus connues. Un internaute inspiré par l'homme qui marche fièrement dévêtu a préféré piocher dans le répertoire de la bande dessinée. Il a déniché une couverture d'un album d'Hergé et il a en changé l'intitulé pour accabler le VPCiste "Tintin : l'affaire de La Redoute".




    Le détournement le plus amusant, peut-être, est sans doute celui-ci, on l'on voit le malheureux nudiste qui voulait garder l'anonymat remplacer par Jean-Claude Duss, le célèbre bronzé qui lui avait opté pour un paquet d'algues pour cacher son intimité.





    Sur le net quand la machine est en marche, rien ne l'arrête. L'affaire de la Redoute est un cas d'école à étudier dans toutes les écoles de management. En scrutant bien la photo, les internautes se sont aperçus que la marque qui se présente comme le géant européen de la VPC avait des problèmes avec les langues étrangères. "Vacances" en anglais écrit "Holidays". Sur les tee-shirts en vente sur le site, les férus d'orthographe ont relevé qu'il était imprimé "Holydays" et non "Holidays". Et certains en ont conclu que le laisser-aller n'affectait pas seulement le service com mais aussi les ateliers de créations. Dur. 






    On aurait pu croire qu'en pleine tourmente, le pro de l'e-commerce aurait serré les vis. Il n'en a rien été. Jeudi dernier, le 12 janvier, La Redoute mettait en ligne  une promotion défiant toute concurrence. Un pull homme à 25 euros à la place de 59.392 euros, soit 99% de réduction annoncée. L’erreur a vite été corrigée. Après le mauvais buzz de la semaine précédente qui avait choqué les associations de protections des enfants, la logique aurait voulu que la vigilance soit de mise. Hélas, non.




     "Quand les geeks lèvent un loup, ils recherchent d’autres erreurs, analyse Fabien Contino, co-responsable du pôle social média de Human to Human, Ils deviennent plus attentifs. Et à chaque nouvelle découverte, les anciens bugs ressortent." Les nouveaux et les présents, malheureusement. Cette semaine encore, une autre photo témoignait du laxisme des mannequins, des directeurs de collection et des photographes de la maison. La société de vente par correspondance a posté la photo d'un modèle posant avec un sweat-shirt blanc taché de taches de café. Plutôt fort. En pleine période de crise, cela fait tâche. Il y a mieux pour convaincre des acheteurs. Pas sûr que cela séduise d'éventuels client.




    Les malheurs des uns font le malheur des autres. Et là, ce cas marketing est riche d'enseignement. Les concurrents se sont frotté les mains. Et ont fait preuve de réactivité. Les 3 Suisses, le principal rival de La Redoute, a ainsi demandé à ses collaborateurs et son agence de pub de voir si il n'y avait pas moyen de surfer sur ce buzz. "Nous voulions faire un clin d’œil, prendre par à la conversation des internautes sur le ton espiègle qui nous caractérise, explique Sylvie de Rozière, directrice de la communication de la marque. Nos collaborateurs ont suivi le buzz en interne, fait des propositions." Peine perdue puisque finalement, c’est celle de son agence BETC qui est retenue. Un maillot de bain premier prix porté par le nudiste flouté. Mis en ligne le dimanche, cinq jour après, suffisamment de temps passer pour ne pas être taxé de vautour mais assez prêt de l'événement pour que le souvenir soit encore frais. Le rendu n'est pas formidable mais l'idée est bonne. 






    D'autres marques,  moins directement lié avec la vente par correspondance, ont senti eux aussi le coup venir. Si Orangina, qui avait publié très vite sur son compte Twitter une parodie avec son fameux ours à la place de l’homme nu l’a retiré sous les hués des internautes qui l’accusait de profiter de l’histoire, d'autres qui ont laissé le soufflé retomber ont su rebondir sur le phénomène à l'image du club Med.



    Tipp-ex, spécialiste des corrections, en a remis une couche avec une très jolie campagne. La Redoute étant devenu le symbole d'erreurs commises en pagaille, les créatifs de la société ont mis en avant l'intérêt de leur produit qui efface les défaillances passagères.




    La leçon de cette affaire est que quand on néglige sa réputation sur internet, un beau jour celle-ci vous revient en boomerang. J'avais une blague sur les boomerangs, mais je l'ai oubliée. Ce n'est pas grave, elle va me revenir... Plus sérieusement, pour avoir commandé cet automne sur internet un four à La Redoute, j'ai pu me rendre compte que non seulement leurs services étaient défaillants mais que les commentaires sur la difficulté à joindre leur SAV, leur manque d'écoute, leurs délais de livraison étaient nombreux sur la toile.
    Petit florilège pris au hasard :
    Françoise
    A Noël, j'ai commandé un cadeau à faire livrer à l'adresse du destinataire (j'ai reçu un mail de confirmation dans ce sens de la Redoute) et j'ai reçu ce cadeau à ma propre adresse! J'ai demandé le remboursement des frais de livraison (18 euros environ) et, à la place, on m'a envoyé un avoir de 5 euros.
    Linda 
    Cela fais plus d'un mois aujourd'hui que j'attends un colis qui n'est jamais arrivé. Le service client de la redoute était censé me rappeler, j'attends toujours !!!!!! Félicitation à la redoute !!!!!!
    Corinne
    Pour un renseignement, bonjour le tarif phonique ! Attente, message pub, tout y est pour au final s'entendre dire de rappeler ultérieurement Et courage pour trouver un contactez nous QUI MARCHE par mail. Dommage, c'est pourtant le minimum pour la vente en ligne.
    Yasmina
    J'ai commandé un tee shirt et j'ai reçu une jupe à la place, je suis dégoutée car je ne porte pas de jupe. C'est pas sérieux.
    Lili 26 
    deux mois aprés la commande le pull n'est toujours pas arrivé ! aucune nouvelles depuis de la redoute merci le service client 

    Si vous voulez rire, tapez la Redoute Service après vente, vous allez servi. Et plus vite que les les consommateurs qui ont passé commande. Les messages de dépit sont parfois hilarants. Le problème, c'est que quand on veut s'imposer comme un acteur majeur du e-commerce face à des adversaires bien rodés comme "Vente privée" ou "Pixmania" qui sont nés eux sur internet, on ne peut pas négliger à ce point son "e-réputation". Etre communauty manager ne s'improvise pas, ce n'est pas un boulot de stagiaire. Il ne suffit pas de tenir une newsletter, se faire mousser sur les site de micro-blogging et d'harceler de manière automatique des promotions à un fichier d'adresses mais aussi répondre au mail des clients en attente d'informations, les rassurer et cultiver sa bonne image en résolvant les problèmes des clients en perdition. Ce sont eux qui seront ensuite les meilleurs ambassadeurs de votre marque. L'oublier est suicidaire car en cas de coups durs, personne ne vient alors vous défendre sur la toile. Le cas de la Redoute en est la parfaite illustration. En se moquant de ses clients, en les snobant, vous entretenez une défiance qui ne peut que ressortir à moyen terme. 




    Comme dit l'adage, "chassez le naturiste, et il revient au bungalow". Pardon "chassez le naturel et il revient au galop". Ce bad buzz vient conforter mon expérience. En septembre dernier, j'ai été dans l'obligation d'acheter un four. Découvrant que La Redoute avait un point de livraison près de chez moi, j'ai été tenté de faire une commande en ligne en espérant que je le recevrais rapidement. Tout d'abord, l'enregistrement de ma commande en ligne bugge. Prenant mon courage à deux mains, je téléphone en  appelant à un service surtaxé au moins pour savoir si ma carte a été débitée. Une opératrice prend note de mon achat en m'assurant verbalement que je serais livré dans les plus courts délais. De fait, je reçois un mail de confirmation pour me dire que le jeudi suivant, je peux passer au relais. Prudent, j'y vais le samedi pour ne pas perdre une demi-journée. Et là rien... J'appelle le numéro que j'avais pris. Surprise, une personne au Maroc, parlant à peine français me dit de refaire un nouvel achat  et de lui communiquer mon numéro de carte bleue alors que je suis en pleine rue sur un trottoir. Je raccroche. Les demandes de SAV étant actives uniquement par internet, le lundi suivant, en faisant une petite enquête, j'arrive à joindre le siège par téléphone. Là, on me dit que cette erreur provient d'un bug informatique, pour le moins invraisemblable  pour une entreprise spécialisée dans l'internet, et on reprend ma commande. Deux jours plus tard, on me reconfirme que mon paquet est arrivé. Une première fois par oral au téléphone, puis par mail, avec une formulation on ne peut plus claire.  "Votre colis est à disposition, dès maintenant au Relais Colis." "Un autre mail me dit que si je n'y vais pas au plus vite, il repartira. Je suis soulagé. Le samedi suivant, je refais choux blanc.  Résultat, j'ai perdu deux samedis et dépensé 200 euros pour un service que je n'ai jamais eu. Ce qui devait être un simple  achat plaisir en ligne fait en deux clics se transforme en calvaire. 


    Je relance une nouvelle fois, j'écris et finis par comprendre que malgré les messages et les factures reçus, le paquet n'avait jamais été adressé au point relais et pour cause : il ne pouvait pas être livré pour des questions de taille. J'obtiens alors de me le faire déposer chez moi le week-end suivant. Je crois alors en avoir fini. Et au beau milieu du samedi après midi, alors que je l'attends depuis 9 heures du matin, que j'ai annulé des rendez-vous, le livreur me dit que cela ne l'arrange pas, qu'il a autre chose à faire et qu'il passera le lundi suivant. De quoi devenir fou. Entre temps, j'avais eu des mails pour savoir ce que je pensais de ma livraison et j'avais été harcelé de promotions pour de nouveaux produits. Trois semaines de perdues, un fiasco sur toute la ligne. Un four serais-je tenté d'écrire. Et le sentiment qu'on s'est foutu de moi. Mauvaise, très mauvaise expérience. 



    Au delà de cette anecdote, ces péripéties en ligne sont navrantes. Que le buzz sympathique du naturiste arrivé dans le top 10 de tweets les plus lus au monde pendant quelques instants pourrait faire sourire, si il n'y allait pas de la notoriété d'une entreprise importante et de son avenir.  En Allemagne, la liquidation de Quelle, spécialiste de la vente par correspondance a laissé 7000 salariés sur le carreau. Une fermeture symptomatique de la fragilité du secteur depuis l'arrivée d'internet et des changements de mode de consommation.  Rien qu'au premier trimestre 2011, le  chiffre d’affaires de la Redoute a chuté de 14 % et 672 emplois ont  été supprimés. A cela s’ajoute un plan de départs volontaires pour 230 personnes, annoncé en octobre. C'est dire si une mutation des mentalités plus proche des besoins des consommateurs est nécessaire. 



    Il n'y a pas de mystère. En terme de communication, La Redoute est l'exemple même de ce qu'il ne faut plus faire aujourd'hui :  manque de réactivité sur le web, service SAV plus que défaillant, communication à la l'ancienne. Intéressé par la croissance de l'e-commerce dans le cadre de mes émissions, j'ai fait une demande d'interview de leur directrice, Nathalie Balla, dans le cadre d' une enquête pour La chaîne Parlementaire le 8 octobre dernier, j'attends toujours leur réponse. Cela en dit long. Alors pour conclure, un seul mot d'ordre : si vous êtes professionnel ou apprenti communicant, les erreurs des autres permettent de s'interroger sur ses propres pratiques. Si vous êtes consommateur : "Redoutez La Redoute". 















    Aucun commentaire:

    Enregistrer un commentaire