vendredi 9 décembre 2011

Attentats de Kaboul : le détail qui tue. Les recadreurs recadrés !



Une jeune fille en sang qui hurle au dessus de corps décharnés. Une silhouette qui se tient debout au milieu des cadavres. Un reste d'humanité ballotté au coeur d'un océan de violence.  La photo d'une jeune chiite éplorée avec a ses pieds des enfants morts, victimes innocentes d'un conflit qui les dépasse, après un attentant à Kaboul le 6 décembre dernier a fait le tour  de la planète. Et les Unes des journaux du monde entier.


Un scène horrible prise par hasard par un photographe de l'AFP Massoud Hossaini. Le reporter afghan cherche depuis plusieurs mois à monter une exposition pour montrer un autre visage de son pays, plus pacifique, plus souriant. Mardi dernier, il décide de suivre la procession de l'Accourra, une  célébration traditionnelle qui commémore le martyre de l'imam Hussein, le petit-fils du prophète Mahomet, dans les rues de la capitale. L'Achoura est l'une des fêtes les plus sacrées chez les musulmans chiites, minoritaires en Afghanistan, un pays à grande majorité sunnite. Un défilé haut en couleur où les fidèles avancent en priant à haute voix et en se flagellant les cotés avec des chaines coupantes. Un spectacle plein de ferveur et étonnant. Plusieurs centaines de personnes cheminent dans les rues du centre ville empruntant un chemin traditionnel emprunté d'année en année.




Le photographe les accompagne en prenant quelques clichés en rafale des croyants. Il croise ainsi quelques amis qui lui sourient. Quand soudain un grand bruit retentit. Une énorme détonation. Il est projeté sur le sol. Le temps de reprendre ses esprits, il se relève. Sa main est en sang. Mais il n'y fait pas attention. Non loin de lui, des croyants sont allongés sur le sol, criant ou pleurant de douleur. Il se dirige aussitôt vers le lieu de l'explosion, à contre-courant des fidèles paniqués qui fuient en courant craignant un nouvel attentat.




Sur le lieu de déflagration, il est rejoint par d'autres personnes qui filment le carnage avec leur téléphone portable et qui crient "A mort Al Qaïda !"" A mort les talibans!,"Allah Hu Akbar"! Au milieu de la fureur ambiante et de la fumée, il aperçoit des dizaines de corps calcinés, projetés contre les murs. Sous le choc, ses mains tremblent...



Il avait déjà été témoin d'une attaque suicide  qui avait fait 70 morts en 2007. Mais là, c'est différent. Il erre sans trop comprendre, secoué par les pleurs. Touché dans sa chair, il ressent tout de manière disproportionnée. Les bruits, les odeurs. Il essaye de se concentrer. Il s'approche du trou, du corps déchiqueté du kamikaze. Il prend des photos comme par réflexe. On lui demande de l'aide mais il passe son chemin, perdu. Il marche comme un automate. Près de la mosquée, il voit les corps d'adolescents et de femmes qu'il venait de croiser. Plus loin, il aperçoit une fillette qui marche comme un  fantôme, couverte de sang. Plus loin, au sol,  il croise deux enfants immobiles, sans vie. Une scène de désolation.





Une femme l' interpelle. Elle tient elle aussi deux enfants, dont l'un, un garçon de cinq ans, semblait grièvement blessé. Elle lui dit "regarde mon bébé est en train de mourir, peux-tu m'aider ?" Hébété, il en est  incapable.  "Je ne pouvais pas, je ne pouvais rien faire, j'étais en larmes", raconte-t-il.
Un homme arrive, prend l'enfant avec lui, avant de le reposer sur le sol, après avoir constaté que du sang coulait de sa tête.


Autour de lui, ce e sont qu'hurlements et douleurs. On lui propose d' hisser des cadavres dans un pick-up mais il continue d'aller de groupe en groupe. Avant que des jeunes ne le prennent à partie le confondant avec un étranger. Sa main commençant à le faire souffrir, il appelle, Hamid, son frère médecin et décide de rentrer à son bureau pour adresser ses photos à l'Agence France Presse. Il les envoie machinalement  sans pouvoir s'arrêter de pleurer... 
Puis soudain, il s'arrête sur un cliché où il reconnait une jeune chiite habillée en vert couleur de l'islam, les mains ouvertes, figée comme une vierge les bras en signe de désespoir, le pantalon maculé de sang. Le visage tourné vers le soleil avec à ses pieds partout autour d'elle des dizaines de corps sans vie. Avec sa tenue colorée et son grand sourire, il l'avait repéré quelques minutes avant la déflagration et s'était dit qu'elle pourrait lui inspirer de bonnes photos avant d'être attiré par un groupe de fidèles un peu plus loin. Il s'était promis de revenir la voir lorsque la précession prendrait fin. Cruelle ironie de l'histoire. Il a bien tenu promesse. Mais dans un tout autre contexte, à des lieues de ce qu'il avait imaginé quelques heures plus tôt. Il regarde sonné ce cliché, il le regarde sans fin hanté par se visage juvénile. Et ses larmes se remettent à couler de plus belle sur ses joues. Malheureux mais chanceux d'être encore en vie. Telle est le quotidien des Afghans...


Le spectacle de cette jeune fille, Pieta du XXI ème siècle avec un bébé mort à ses pieds symbolise bien l'horreur de cette guerre atroce. Elle illustre le coté aveugle et barbare du terrorisme musulman qui fait chaque trimestre des centaines de victimes dans le pays. Le lendemain, la photo fait la Une des plus grands journaux du monde. La bombe a fait soixante-trois morts et une centaine de blessés. C'est l'attentat le plus meurtrier en Afghanistan depuis celui perpétré contre l'ambassade d'Inde en juillet 2008. C'est la preuve que les talibans sont toujours à l'affut et que sitôt parties les troupes américaines, une flambée de violence est à craindre comme aux pires heures de la terreur entre 1996 et 2001. Les talibans, sunnites radicaux au pouvoir, qui considéraient les chiites comme des hérétiques, les empêchaient alors de célébrer leurs fêtes et bien que ceux-ci s'en défendent, les autorités les soupçonnent d'être à l'origine du drame. 




La scène fait ainsi la Une du Los Angeles Timesdu New York Times et du Washington Post. Le jeune photographe de 30 ans rejoint ainsi ses maitres, Manoocher and Reza Deghati. Parmi toutes les images envoyées par le jeune photographe chiite, les éditeurs ont retenu ce tableau fort, digne de la Renaissance italienne... 
Dans le "Los Angeles Times", on voit, au premier plan, le corps d'un bébé en jaune, la tête renversée. La scène brute dans sa violence. Un détail peut-être mais qui happe toute l'attention et qui hante celui qui le regarde longtemps. Très longtemps. Un détail qui tue.



Le "New York Times" propose, lui, une photo plus large sur le côté gauche et en bas. La photo est imprimée telle quelle, sans recradrage. On y perçoit bien au fond deux cadavres contre le mur. Deux victimes innocentes de plus. Deux femmes qui comme "Le dormeur du Val" de Rimbaud semblent endormies contre un mur avec juste une tache rouge sur leurs vêtements. 




Le Washington Post n' a pas pris la même option. La photo retenue est encore plus serrée que celle du New-York Times. Le bas de l'image a visiblement été coupé : on devine, au premier plan, le corps du gamin tout de jaune vêtu, mais son visage n'est plus présent. David Griffin, le responsable photo du journal s'explique : "Le bébé qui est au premier plan, je pense que cela allait trop loin pour un quotidien qui est lu par des familles. Nous avons passé du temps à discuter de cette partie de l'image. Nous ne voulions pas trop recadrer pour éviter de perdre la sensation d'horreur dégagée par cette image."
Ainsi recadrée, avec les deux jeunes filles en moins, l'image est plus esthétique mais la sensation de carnage est atténuée. Le charnier apparait plus petit et l'attentat moins important. C'est un choix. Volontaire. Guidé soit par un souci professionnel de pas donner dans le trash ou le voyeurisme soit par une arrière pensée commerciale. Mais plus serrée, la photo ne traduit pas la même réalité. Certains diront que ce n'est pas anodin, d'autres que ce n'est pas nécessaire à la compréhension de la situation. 




Libération a repris la même photo quelle New-York Times dans sa version la plus large, sans recradrage. L'AFP, elle, n' a diffusé cette image qu'à un public filtré. Elle l' a adressé à la presse généraliste. Mais pas question de l'envoyer sans précaution à la volée sur son fil, certains clients diffusant automatiquement les clichés, la rédaction  s'est abstenue de le mettre sur le fil destinés aux sites sur le web et les mobiles. Des précautions particulières ont été prises.  
"Comme on se refuse à recadrer les photos et que le journal internet de l'AFP est publié sur des sites grands publics, on a décidé de ne pas la diffuser", explique Florence Panoussian, responsable de la rédaction web et mobiles . Lorsqu'on a eu la photo de Kadhafi mort, il y a eu moins de débat, car nous n'avions qu'une seule photo et elle a été diffusée. Là, nous avions beaucoup d'autres photos, toutes bonnes, de l'attentat à Kaboul. Nous en avons donc choisi trois autres, tout aussi informatives mais moins violentes".


Pas de scandale dans la comparaison de ces Une, juste la constatation que quand ils disposent de la même place tous les médias ne font pas les mêmes choix iconographiques. Des partis pris soit commerciaux, soit éditoriaux qui bien analysés ne sont pas toujours anodins. Dans ce cas précis, cela n' a que peu d'impact, la disparition de tel ou tel détail n' a pas une importance cruciale ou de portée politique tant l'image est forte, mais vigilance. Parfois certains recadreurs sont à recadrer. Car du cadrage au débordement, comme on dit au rugby, il n'y a qu'un pas...











2 commentaires:

  1. L'image de Tarana Akbari, 12 ans, hurlant de terreur dans sa robe verte tachée de sang, encerclée par des corps empilés de femmes et d'enfants, a fait le tour du monde. Des membres de sa famille ayant survécu à l'attentat témoignent.
    Une vidéo AFP
    Kaboul : la famille de la "fillette en vert" parle de l'attentat - Le Parisien

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  2. Le photographe afghan Massoud Hossaini, 30 ans, a obtenu pour la photo de cette enfant hurlant au milieu des corps le prix Pulitzer de la "Photographie breaking news" lundi 16 avril, à New York. Une première pour l'AFP, dont il fait partie.

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