samedi 24 novembre 2012

Quand les bouches de métro parlent. "The last book", une série de photos originale de Reiner Gerritsen

Paris photo 2012 sous la verrière du Grand Palais. Photo : Jean-Marc Paillous


Paris photo, c'est Le salon de la photo à Paris. Des dizaines de stands alignés contre les uns, avec des photos plus belles les unes que les autres. Une ballade de plusieurs heures avec ce qui se fait de mieux chez les galeristes. Des clichés historiques, des œuvres d'artistes renommés à profusion. Et tout à coup, une surprise. Une série qui sort du lot et qui interpelle le visiteur. Un flash... Au bout d'une allée.
Le stand de la galerie Julie Saul au salon Paris Photo 2012. Photo : Jean-Marc Paillous


Reiner Gerritsen. Plusieurs clichés grand format montrant des voyageurs en train de lire dans le métro. 
Une série forte qui sort du train train. 


"The last book". Un projet qui regroupe des photos prises pendant cinq ans en France,  en Angleterre et aux Etats-Unis. Un travail au long court sur des lecteurs saisis au hasard dans les plus grandes métropoles. Un témoignage sur les derniers des Mohicans à un moment où la lecture se fait de plus en plus rare et où les tablettes numériques, les smartphones remplacent peu à peu le contact avec le papier.



En tout, 500 photos portant le nom du livre photographié. Un cliché et un texte tiré de l'ouvrage en question. Quelques lignes qui donnent un aperçu du contenu de l'essai ou du roman. Pèle mêle, côte-à- côte, de la science fiction, des textes religieux, des romances à l'eau de rose.   

Là où certains rament dans le métro, d'autres, complètement absorbés par la lecture, s'évadent. Cette série témoigne d'un amour pour l'imprimé, d'une passion pour le coté sensuel d'un velin qui glisse sous les doigts ou le bruit d'une page qui se tourne. "Le temps de lire est toujours du temps volé, écrivait Pennac, et c'est sans doute la raison pour laquelle, le métro se trouve être la plus grand bibliothèque du monde".

Si la quête de l'artiste hollandais a tant frappé les visiteurs de ce salon qui réunissait nombre de créateurs réputés, c'est que son travail n'a rien à voir avec ceux de ses confrères. Chez lui, peu de glamour, peu  de spectaculaire. Le métro est un univers quotidien très peu photographié et que l'on redécouvre avec des yeux neufs.




L'artiste dévoile la beauté de ce que l'on cotoie tous les jours et l'on oublie. A l'image Jean Cocteau qui pensait que le poète "montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement", le photographe nous montre la richesse des rencontres que l'on peut faire dans les wagons. Une mine de scènes insolites, amusantes, touchantes.


Les images retenues par la galerie Julie Saul frappent par la qualité de leurs tirages et le subtil équilibre entre les parties nettes et floues. Si certains des éléments de décor ( les sièges, les barres) sont peu mis en avant, la plupart des portraits sont extrêmement nets. Les personnages en arrière plan délaissés d'habitude prennent là une importance étonnante et attirent le regard. Sur certains clichés, on repère une mère de famille qui sourit à son enfant, sur d'autres une jeune fille perdue dans ses rêves ou un sportif qui baille. Et c'est la juxtaposition de tous ces focus qui rend ces tableaux si intéressants. Les visiteurs peuvent passer des heures à relever des détails et en découvrir d'autres.

Un tour de force qui ne doit rien au hasard. Reiner Gerritson prend avec son appareil  plusieurs clichés de chaque scène en faisant le point sur des parties différentes. Des photos qu'il juxtapose une fois chez lui grâce à Photoshop en faisant ressortir les passagers qui l'ont intrigué. Des voyageurs qui par leur expression tantôt lasse, tantôt désinvolte, racontent des histoires. Devant leurs tenues, leurs attitudes, chacun peut à loisir imaginer leurs vies à l'extérieur du wagon. 




Peu de lieu concentrent autant des personnes aussi diverses que le métro. On y croise des cadres, des ouvriers, des chômeurs, des hommes d'affaires, des étudiants, des artistes, des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des vieux, des juges comme des repris de justice. Certains présentent des points communs, d'autres ne se rencontreront plus jamais. Tous vivent des histoires singulières et ont un destin particulier. Marcel Jouhandeau disait "Si je perdais ma bibliothèque, jaurais toujours le métro et l'autobus. Un billet le matin, un billet  le soir et je lirais les visages." Avoir l'oeuvre de Reiner Gerritsen, ses propos sont encore d'actualité.


Et de la même façon qu'un touriste s'installe dans un bar et essaye de deviner la vie des clients assis en terrasse, les voyageurs peuvent laisser aller leur imagination. Et en fonction du titre des livres que lisent leurs vis-à-vis, ils peuvent tenter à la manière de Sherlock Holmes de percer la psychologie de leurs voisins. Dis moi ce que tu lis et je te dirais qui tu es. Un petit jeu qui d'après Gerritsen devrait disparaître en 2016 avec la généralisation des ipad et autres iphones. Mais un plaisir que d'autres avec humour s'attache à préserver.



Reiner Gerritsen n'en est pas à son premier essai. Le Néerlandais est un familier du métro. En 2009, une première série intitulée "Wall Street stop"l'avait déjà mis mis sur des rails. Juste après le début de la crise financière, il avait photographié des New-Yorkais se rendant au travail entre la station Grand Central et celle de Wall Street. Un bon moyen pour voir comment était perçue la crise par ceux qui placé au coeur du système bancaire tiraient les ficelles de la finance. Un idée originale et un excellent révélateur de l'ambiance dans le Saint des Saints. 

Pour ce projet, pas de longs textes, simplement des chiffres, l'heure des trains empruntés. De l'aube au début de la nuit. A chaque heure, son public.



La plupart du temps,  il y avait une frénésie : les traders sortaient leurs ordinateurs et les stations de métro se transformaient en station de travail.


Signe de temps : sur les visages, très peu de sourires juste de  la lassitude voire de l'inquiétude. De la fatigue, de la tristesse ou du désespoir. "C'était déprimant, le climat était lourd. C'étaient les derniers jours du mandant de Georges Bush et la crise couvait. Une période très dure pour les Américains, et cela se voyait très bien." a confié après coup Reiner Gerritsen. Parmi les soutiers de l'industrie bancaire, il a  saisit la détresse de tous ceux qui peinaient à entrevoir la fin du tunnel. Il a observé ceux qui restaient à quai, ceux dont l'existence déraillaient pendant que les pontes en surface continuaient à engranger des bénéfices. 



Il y a ceux qui partent fringants, tapotant sur leurs téléphones portables ou lisant le journal et  celles qui élèvent leurs chaussures après une journée harassante... Une galerie de portraits qui en dit long sur la manière dont on percevait Outre-Atlantique cette période agitée avec des faillites en cascade. Le recueil  publié en 2010 par Hatje Cantz peut être feuilleté aussi bien comme une enquête sociologique qu'un témoignage historique. 


Cette expérience a tellement transporté le quinquagénaire qu'il l'a rreproduite à l'autre bout du monde. Et tout particulièrement en Chine.



Autre pays, autres moeurs, en mars dernier, le photographe a été stupéfait de voir un grand nombre de passagers se couvrir la bouche avec un masque. A tel point qu' il a pris de très nombreux clichés de travailleurs allant au boulot le visage recouvert par ces étranges bouts de papier aseptisés. Au début, le reporter pensait les vendre  pour illustrer le problème de la pollution en Chine. Jusqu'au moment où il a appris que lorsque les habitants étaient malades, ceux-ci redoublaient de précautions pour éviter de communiquer leurs microbes à leurs voisins. Et que loin d'être un signe de méfiance, il s'agissait là d'une manifestation de respect et de civisme. Comme quoi l'observation de ces images peuvent être riches d'enseignements et les couloirs souterrains de formidables lieux de correspondance entre habitants de pays différents.

Pour beaucoup , comme dirait Zazie, le métro, cela pue. C'est du temps de perdu. Surtout quand il ne fonctionne pas, ce qui est fréquent. Mais pas pour tout le monde. Gerritsen lui y lit beaucoup plus que ce que l'on veut bien y voir. Si on y prête attention, les bouches de métro nous parlent parfois plus qu'on veut le croire.

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