vendredi 17 février 2012

"La France forte", ça l'affiche mal : les multiples détournements du slogan de Nicolas Sarkozy



Jeudi 16 février 2012. Boulogne. Sur le plateau de TF1, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, annonce lâche une phrase pour le moins inattendue. "Oui, je suis candidat à l'élection présidentielle". Enorme coup de théâtre. Enfin presque.... Depuis une semaine, tout le monde connaissait l'adresse de son QG, le nom des membres de son staff et même son slogan de campagne. Et quel slogan. "La France forte", une formule soigneusement choisie. Une expression courte, pêchue, axée «davantage sur le pays que sur la personne du candidat» et «censée incarner une France qui, malgré la crise et l'enlisement de nombreux pays européens, n'a pas ployé durant le quinquennat». Ouah ! Une astuce pour ne pas attirer l'attention  sur la personnalité du candidat dont la côte d'amour n'est pas au plus haut et qui se comprend comme un défi à François Hollande présenté à contrario comme le tenant de la gauche molle.  



La formule répond à merveille aux règles d'or de la pub, aux légendaires 3 C cités dans les grands manuels de marketing : clair, court, cohérent. Aussitôt connu, ce choix est critiqué. Les spécialistes ont tout de suite reconnu un slogan employée par ... son adversaire, Ségolène Royal en 2007. "Plus juste, la France sera plus forte." Plus question d'être juste, simplement d'être fort. Un oubli qui en dit long, signe des temps...  



La formule imprimée sur fond rouge, sur fond bleu n'aura pas porté chance à la présidente de la région Poitou Charente.  Ni à celui qui l' avait utilisé avant elle, un autre président sortant... battu, lui, en 1981. Dans un  contexte de crise économique difficile,  Valery Giscard D'Estaing avait en effet fait campagne avec un slogan  original à l'époque «Il faut une France forte». Une dramatisation anxiogène et un appel du pied à celui qui devait apparaître comme un sauveur dans la tempête. Une référence à la France éternelle que le Chef de l'Etat est censé représenté et qu'il incarne depuis le début de son premier mandat. 


Résultat, le 21 mai 1981. 48% des voix au deuxième tour. Et une défaite cinglante pour le locataire de l'Elysée. Il n'en fallait pas plus aux chroniqueurs pour se moquer de "ce slogan de l'oser"et du manque de culture politique de communiquants  payés à prix d'or. Autant utiliser un "sloganiseur", une machine qui fabrique aléatoirement des formules choc à base de mots clés comme "courage", "action", "ensemble", "unis"...


  A croire que le candidat-Président n'est pas superstitieux. Et que ses conseillers qui travaillent sur ses plans com sont un peu légers.

En principe, le B.A.BA du métier est de vérifier si la formule n' a pas déjà été enregistrée. La base. Seuls des amateurs n'y pensent pas. Ce n'est pas le genre de piège dans lequel peuvent tomber les pros du Château. Le chef d'Etat est un ancien avocat d'affaires, bien au fait du droit des marques... Et dans son entourage, on ne compte plus les énarques, les Normaliens et les anciens élèves d'HEC... Autant dire des têtes bien pleines et bien rémunérées. Pas de risques de ce côté là.

Enfin, c'est ce que l'on aurait pu imaginer. Laurence Henriot, une consultante en communication et en management avait déjà déposé le slogan "La France forte" le 14 janvier 2002 à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). De fait, cette jeune femme qui donne des cours à l'école de communication visuelle est aujourd'hui la seule à pouvoir utiliser "La France forte" pour des affiches et des tracts. Que cela soit pour des pubs, des études d'opinion, l'experte de la Rue de la Pompe dans le XVI ème arrondissement de Paris est la seule habilitée à employer la formule. A moins qu'elle ne la cède contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Chapeau les gars ! Ce n'est pas grave : ce n'est pas vous qui payez ! Mais, c'est qui au fait? Les frais de campagne sont remboursés aux candidats s'ils font plus de 5 %. Du coup, ce ne serait pas? Si, si, c'est nous. Au bout du compte.



A peine son interview avec Laurence Ferrari terminée, Nicolas Sarkozy a lancé son site de campagne Lafranceforte.fr et dévoilé son affiche.  On retrouve le candidat de profil regardant droit devant, mûr, sûr de lui. Dans son dos, un ciel bleu foncé et une mer calme. Une silhouette rassurante qui fait penser à celle de François Miterrand posant dans les mêmes conditions en 1988. Même composition, mêmes teintes. Une présence réconfortante qui correspond bien à l'image qu'on se fait d'un président gardant le cap malgré les intempéries. Il a une vision, il pointe la direction à suivre. 



La mer en fond symbolise le mouvement. Elle magnifie le charisme du héros, du commandant que rien ne fait vaciller. Déterminé. Rassembleur. Un pied de nez à son rival socialiste que Mélenchon décrivait en octobre 2011 comme un capitaine de pédalo. En ces temps de crises, crise de la dette, crise de l'euro, l'objectif  des publicitaires était de montrer que le pays est bien conduit d'une main ferme.


Seul problème : la photographie utilisée pour l'affiche n'a pas été prise en France, comme on aurait pu le supposer mais… en Grèce. Le paysage marin en arrière-plan du visage du président de la République n'est autre que la mer Egée. Quand on vante le made in France, la France forte qu'on est le chef d'un pays qui compte 1948 km de cote et quelques unes des plus belles plages d'Europe, cela fait désordre. 


Mer du nord? Manche? Golfe de Gascogne? Tout le monde se demandait quel était le littoral derrière le président sortant. Le dernier mot est revenu à Jean Saurien, alias @schloren. L'internaute a récupéré le cliché sur le site du Figaro et s'est penché sur la signature numérique du fichier source. Un coup d'oeil sur les données EXIF de l'image d'origine, sur son nom et sa provenance et quel ne fut pas son étonnement de découvrir que le cliché provenait d'une banque d'images privées Tetraimages et que son titre libellé en anglais était "Greece, clouds over Aegean Sea". Afficher la Grèce comme référence, ça la fiche mal,  à un moment où notre partenaire est au bord de la faillite et que le Pirée est devant elle. AAA !!!



Entre les ratés du slogan, sa photo mal choisie, l'affiche est devenue en quelques heures l'objet de multiples détournements. Les premiers ont joué sur les mots. La France forte s'est rapidement transformée en France Morte. Une lettre vous manque et tout est dépeuplé. On aime ou on aime pas... Ce n'est pas pire que La France Farte avec un grand marin en premier plan, le surfeur du net : Brice de Nice...


Lettres ou le néant. Autre jeu de mot : "La France frotte" comme pour signaler qu'il fallait passer l'éponge sur les erreurs du passé. 



D'une blague à l'autre, les facétieux ont tout de suite fait le rapprochement avec la saucisse de Franckfort. Le président ne jurant que par le tandem franco allemand et le modèle social d'Outre Rhin, les allusions à la cuisine germanique et la choucroute n'ont pas tardé.  Les rigolos en ont fait leurs choux gras...



De Franckfort à Franc fort, les souverainistes qui n'ont de cesse de critiquer le rapprochement avec la Chancelière et notre faible marge de manoeuvre budgétaire  ont sauté sur l'occasion. 


En quelques heures, la création de l'Elysée, objet de nombreuses retouches sur Photoshop, est devenue un "meme" à l'image de l'homme nu de La Redoute, habillé pour l'hiver. 



Cela l'affiche mal... Les parodies pullulant, les jeunes socialistes ont monté un site au nom ironique : mafranceforte.com. Ils y ont posté dès le lendemain de la déclaration officielle des dizaines de détournements. 

  Les militants à la Rose se sont défoulé reprenant avec férocité  l'image du capitaine à la dérive, de son bateau et de son philosophe préféré. Un quart Ferry et trois quart d'eau.  


Sans pitié, ils s'en sont donné à coeur joie, venant à lui souhaiter du repos et des vacances méritées. Avec le sourire. "Même si les retoucheurs ne croient pas tous Hollandemains qui chantent, la plupart ne veulent pas que Sarkommence..".

















La campagne est enfin lancée. On verra bien comment on la récupérera. Et qui campagne dit plans com. Les staff tentent tant bien que mal de copier la stratégie de Barack Obama il y a cinq ans. Ce mercredi, Nicolas Sarkozy a inauguré sa timeline sur Facebook, un beau CV numérique où on y découvre ses principaux faits d'armes avec de nombreuses photos et vidéos. Une belle page qui présente l'avantage de ne pas accueillir de propos désobligeants à la différence de son ancien compte, sa "fan page" où ses partisans mais aussi ses détracteurs commentaient la moindre de ses interventions. Une timeline où on le  découvre au mieux de sa forme avec ses conseillers et ses proches. Mais où il a oublié certains détails moins glorieux comme le diner au Fouquet's, la venue de Kadhafi ou les malheurs d'Eric Woerth, le trésorier de la  campagne de 2002. Il y narre son histoire, son e-story. Des oublis vite réparés par Côme et Antoine,  deux acteurs à l'humour grinçant... Voici leur Sarko story...


Le président souhaitant investir le net, le chef de l'Etat s'est également créé un compte sur Twitter, distinct de celui de l'Elysée. Un franc succès. Au bout de deux messages, il se vantait d'avoir fédéré 48 000 followers en 12 heures. Un tiers du score de François Hollande qui assez actif sur la toile en affiche plus de 150 000. Petit hic : la revue PC Impact s'est aperçu que les chiffres avaient été légèrement trafiqués. La plupart des comptes de ces fans ne comportent ni photo, ni bio et n'ont jamais émis de messages. De fait, beaucoup ont été créé le jour même pour gonfler les statistiques. Un mauvais buzz pour l'ancien maire de Neuilly qui mise beaucoup sur le web pour refaire sur son retard dans les sondages et retrouver un second souffle. 


Avec tous ces nouveaux médias, il n'est pas toujours facile de s'y retrouver. Surtout quand on est étranger. Pour mieux faire comprendre les subtilités de la cuisine électorale française à ses téléspectateurs, Jim Bitterman, le correspondant de CNN à Paris, s'est mis aux fourneaux. Plutôt cocasse. Le journaliste un brin toqué  a en effet tourné une vidéo très didactique et plein de malice où il fait une habile comparaison entre le scrutin d'avril et la préparation d'une quiche. Les élections présidentielles françaises expliquées par un grand pro de l'info, c'est tout de suite plus digeste. Une démonstration enlevée qui ne manque pas de sel.  D'autant plus qu'il n'y va pas avec le dos de la cuillère. Savoureux.

1 commentaire:

  1. Il paraîtrait que la typo utilisée pour l'affiche s'appelle "Catastrophe"; prémonitoire ? Réponse, début mai...

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