samedi 17 décembre 2011

La Highline vue par Seb Montaz-Rosset, l'adrénaline en haute définition



Bernard marche sur un fil lentement mais sûrement. Sous ses pieds, 500 mètres de vide sous lui. Et rien, pas une corde pour le retenir. Posé, il avance doucement les bras en l'air. Il est là, tranquille, concentré, serein. Il maîtrise. A chaque pas, il risque sa vie. De s'écraser sur les rochers en contrebas. Et pourtant, il semble apaisé. Mètre après mètre, il continue sur sa sangle comme si rien n'était. Défiant l'apesanteur, la mort. Juste pour le plaisir, le plaisir de sentir vivant. Intensément. Et la joie de jouer avec le vent, les éléments. On le sent plein d'énergie. Libre. Intouchable. Une séquence inoubliable.


Un moment de grâce parmi d'autres tiré de la vidéo événement de cette fin d'année : I beleive i can fly.  En moins d'un mois, le teaser du film de Seb Montaz Rosset a été vu près 2, 5 millions de vues sur le site  de partage en ligne Viméo.  Et le film lui-même accumule les prix dans les festivals. Le dernier en date étant le Grand prix du Festival du film d'aventure de La Rochelle. Le réalisateur croule aujourdhui sous les compliments et les sollicitations. Reportage en Allemagne, sujets télé au Brésil. L'engouement pour les prouesses de son petit groupe de français intrépides est incroyable. Un extrait de son long métrage a même été intégré au best of des meilleurs vidéos de sports extrêmes de l'année. 



Rares sont les films qui touchent de cette manière la corde sensible des internautes. Car le buzz sera durable. Et l'on peut parier qu' "I believe I can fly"fera date comme "Opéra vertical" de Jean-Paul Janssen, qui avait fait découvrir au plus grand nombre les plaisirs de la varape, l'escalade à mains nues. En 1982, le documentaire qui racontait l'histoire d' un grimpeur passionné ultra doué, Patrick Edlinger, un des tous premiers montagnards à franchir du 8a avait fait connaître au grand public une nouvelle discipline.  Le phénomène "I can fly" s'appuie sur les mêmes bases, des images chiadées, une histoire d'hommes qui s'épanouissent en pleine nature en se dépassant et une activité spectaculaire encore peu connue : la highline.



Sébastien Montaz Rosset est un pionnier. Il a réussi à populariser en moins d'un an une activité outdoor qui n'était jusqu'à présent pratiquée que par une poignée d'alpinistes ou de skieurs soucieux de travailler leur équilibre entre deux arbres. Tout comme Jean-Paul Janssen avait fait réalisé "La vie au bout des doigts"peu avant "Opéra vertical, ce guide de Chamonix fou de photo et de vidéo a déjà mis en ligne il y quelques mois un court métrage intitulé "Les Skyliners" qui est considéré comme l'acte de naissance de la highline. Un film tourné pendant dix huit mois dans la vallée du Mont-Blanc avec Dino Raffaut et Mathias Lopez qui montrait pour la première fois au grand public l'investissement de ces funambules qui évoluent sans balancier et en plein air sur une fine sangle tendue entre deux parois.



La highline est un dérivé de slackline, un jeu  où l'on s'amuse à évoluer entre deux murets ou deux poteaux sur une fine bande de quelques centimètres de large, entre deux et trois centimètres sans perdre l'équilibre. Cet exercice est vraisemblablement né dans le park du Yosémite  dans les années 1980 de l'imagination  de grimpeurs qui ne savaient pas quoi faire du reste de leurs sangles et qui s'amusaient à celui qui y resterait le plus longtemps en équilibre ou qui ferait la figure la plus osée sans se casser la figure. Ce qui n'était  qu'un passe temps pour quelques montagnards californiens désœuvrés s'est peu à peu transformé un précieux ustensile d'entrainement pour nombre de gymnastes ou des skieurs de haut niveau qui y ont vu, à l'image du champion olympique du combiné Bodé Miller, un moyen de travailler leur équilibre en mouvement et améliorer leurs réflexes.  Il faut dire qu' à la différence du câble utilisé par les funambules, la sangle élastique se prête à toutes les fantaisies comme le montre cette vidéo  de la "Maverick Slacklines Team" postée il y a moins d'un mois.



La plupart des sportifs pratiquent cette activité à 30 ou 60 centimètres du sol sur des distances avoisinant quelques dizaines de mètres maximum. La principale innovation de Seb Montaz Rosset et ses amis Tancrède, Damien, Julien, Vivian et Sam est d'évoluer à une toute autre altitude. Damien Mercier est un de tout premiers a avoir installé et développé des "highlines" en France.  Avec l'anglais Jonathan Ritson, il a installé en Aout 2007 une sangle surplombant 200 mètres de vide au Parmelan dans le massif des Bornes près d'Annecy. Depuis cette aventure marquante, il a contribué à améliorer le système d'installation et la sécurité des pratiquants qui évoluent tous avec des baudriers, des sangles pour s'assurer et des amortisseurs de chute. Epaulé par Julien Millot qui a ouvert et répertorié toute une liste de spots d'altitude sur Highliner Database, les compères font vivre cette discipline toute jeune repoussant de mois en mois les limites du genre en choisissant des endroits de plus en plus vertigineux ou en allongeant les distances parcourues. Dernièrement un adepte de ce nouveau sport s'est ainsi envoyé en l'air en Norvège sur une sangle surplombant 1000 mètres de vide. Vertigineux. Surtout quand on voit la maîtrise d'adepte comme Bernard qui avance seul à son destin sans aucune sécurité.  La facilité dont font preuve également Ingrid Laillaut de Wacquant et Jelena Schradi sur la première ligne installée au dessus d'Annecy témoignent de cette évolution. 

 

Toute la force du guide originaire des Arcs est de magnifier "leurs exploits". En leur proposant de mêler ce sport jeune à d'autres disciplines comme le base jump ou le flying suit ou encore en essayant toujours de trouver de nouveaux angles de vue. Photographe confirmé, non seulement, il n' a pas son pareil pour filmer avec des boîtiers Canon 5D mark II parfaits pour tourner en haute définition. Mais il essaye de plus en plus d'expérimenter de petits trucs soit en fixant ses appareils au bout de perches pour amplifier la sensation de mouvement soit en utilisant des stabilisateurs très maniables  qui lui permettent de courir tout en prenant des images comme si il avait un Steadycam. Des idées qu'il n'hésite pas, généreux, à faire partager. En anglais.



Sébastien Montaz Rosset a un oeil. Il y a une touche, signature. Il attache beaucoup d'importance à la belle image en jouant sur la lumière, le temps qui s'écoule avec de jolis "time lapses". Ces films sont tournés avec des appareils réflex numériques. Comme beaucoup de passionnés, il a investi dans des boitiers Canon, un  5D mark 3 et un 7D, des bijoux capables de faire des images à 18 millions de pixels, mais surtout pouvoir de faire de beaux "flou-nets", de jouer avec une très faible profondeur de champ, pour être centré sur les personnages et les napper d'un halo poétique. Qu'ils soient dans le champ, ou hors champ, dans les champs ou sur les cimes.  Des appareils avec des capteurs ultra sensibles pour faire des films tout en sensibilité. Le réalisateur  passe de la montagne au montage sans haine. Il y a de la fluidité chez lui, du respect pour ceux et ce qu'il filme. Avec deux trois plugins, un bon travail en post pros sur final cut, il produit des vidéos qu'on aime énormément comme cet hymne à la vie dans les vallées.



Plus que les prouesses des sportifs, la technique de prise de vue, ce qui ressort de son travail, c'est la volonté de raconter des histoires, de mettre en avant les autres. Il ne cherche pas à le grand spectacle à tout prix avec une surenchère de moyens, à grand coup d'hélicoptères et de caméras hors de prix, histoire d'en mettre plein la vue à la manière des grosse productions américaines. En cela le guide de la Tarentaise se rapproche un peu de la philosophie des frères Falquet, deux Suisses formidables qui essayent de rendre hommage à leur vallée, la vallée du Trient et à ceux qui y vivent. Comme eux, c'est un montagnard, un alpiniste et skieur de très bon niveau. Originaire des Arcs, il a fait partie de l'équipe jeune de la Fédération Française de montagne et d'escalade. Guide à 22 ans, il a commencé à filmer ses clients, et les moments qu'il passait avec eux. Peu à peu, cet auto-didacte s'est pris au jeu de l'image. Mais sans oublier que si le sport est esthétique, le plus important ce sont le hommes qui s'y adonnent, avec leur parcours, leurs espoirs, leurs doutes, leurs envies. Leurs sensations. Leurs émotions.



Plus que les films, ce sont les rencontres qui priment, les instants d'émotion et de partage qui lui sont donnés de vivre. Comme la rencontre de Bernard, le funambuliste marchant sans harnais de sécurité, qu'il ne connaissait pas avant de le voir évoluer entre ciel et terre. Et avec qui le courant est tout de suite passé. Une rencontre forte entre deux hommes, entre un caméraman et un athlète qui sur la foi d'un regard, d'une attitude se font pleinement confiance. Quitte à risquer leurs vies.  Ses films sont des opportunités qui passent et qu'il attrape au vol. Comme le coup de fil  de Vivian Bruchet un beau jour de mai à 17 heures qui lui propose de venir le lendemain descendre dans une même journée quelques uns des itinéraires les plus engagés de l'aiguille du midi. A l' arrivée, une belle journée de freeride avec quelqu'un qu'il n'avait jamais vu skier auparavant et un film de montagne réjouissant pour tous ceux qui aiment la pente raide. Résultat, une vidéo susceptible d'être appréciée par des téléspectateurs qui ne s'intéressent pas plus que cela au sport, une bonne vision de ce que l'on peut vivre sur les planches en fin de saison et un beau rendu de cette atmosphère de camaraderie entre riders férus d'extrême vu de l'intérieur en haute définition. Bien souvent, dans ce genre d'enchainement, pas question d'amener une caméra bétacam ou une 35 mm dans les faces. Les tournages sont trop dangereux, trop lourd, trop lent. Avec ses deux casquettes, de professionnel habitué à la sécurité en montagne et de photographe confirmé, les deux hommes ont su se comprendre rapidement, se jeter dans l'aventure et tourner des séquences rares dans de telles voies. Rassurer et assurer.  La preuve qu'esthétique peut rimer avec éthique...







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