Certains médias conformistes déplorent une crise de la pensée, un repli sur soi. Au contraire, "la vie des idées" n'a jamais été aussi riche de promesses. Avec la crise des élites, l’imagination des nouveaux acteurs du numérique, le développement de l’économie circulaire, l'innovation n'est plus le lot d'intellectuels détenant le savoir. Elle provient de petits groupes de citoyens qui ne se faisant plus d'illusions sur les politiques, se remontent les manches et essayent de se rendre utiles. En travaillant sur des projets porteurs de sens, en privilégiant l'action concrète, à échelle humaine, ces laboratoires inventent le monde de demain. Exemple avec Engage, qui organise une soirée de réflexion et d'action environ une fois par mois.
Engage, un mouvement qui associe sens et bienveillance. |
"C'est là que cela
passe !" Je suis à peine arrivé au 45, rue des vinaigriers à Paris qu'une
jeune fille souriante, Eva, m'accueille et m'ouvre la porte. "Les Engagés
sont au premier étage".
Je prends l'ascenseur et découvre une grande salle lumineuse avec de longues tables en bois massif, des bancs confortables en cuir noir et au mur et une inscription : "We are social".
Dans un coin, une cuisine rectangulaire moderne, et tout autour des convives en train de boire un verre, de savourer des quiches, en discutant. Petit à petit, la vaste pièce se remplit. Des jeunes étudiantes charmantes un peu timides, des cadres aux cheveux blancs et aux regard assurés, des patrons de start-ups, des mères de famille, des geeks... Corinne, une juriste dynamique, me présente à deux lauréats des trophées "Global Potential", un prix qui vient de récompenser au Sénat de jeunes entrepreneurs venus du monde rural et des quartiers populaires. Il y a autant de filles que de garçons et l'ambiance est bon enfant. Des rires fusent un peu partout.
Je prends l'ascenseur et découvre une grande salle lumineuse avec de longues tables en bois massif, des bancs confortables en cuir noir et au mur et une inscription : "We are social".
Dans un coin, une cuisine rectangulaire moderne, et tout autour des convives en train de boire un verre, de savourer des quiches, en discutant. Petit à petit, la vaste pièce se remplit. Des jeunes étudiantes charmantes un peu timides, des cadres aux cheveux blancs et aux regard assurés, des patrons de start-ups, des mères de famille, des geeks... Corinne, une juriste dynamique, me présente à deux lauréats des trophées "Global Potential", un prix qui vient de récompenser au Sénat de jeunes entrepreneurs venus du monde rural et des quartiers populaires. Il y a autant de filles que de garçons et l'ambiance est bon enfant. Des rires fusent un peu partout.
Engage, un mouvement qui soutient les porteurs de
projets porteurs de sens et des initiatives solidaires
|
Au bout d'un moment, un
bel homme à la voix de baryton prend la parole et invite les soixante personnes
présentes à s'asseoir à l'autre bout de la pièce sur des fauteuils
multicolores. Jérôme Cohen, le créateur d'Engage, détaille alors à l'assemblée
la philosophie du groupe. "Notre but est de soutenir des initiatives
citoyennes, des porteurs de projets solidaires, des actions qui ont du sens,
dans tous les domaines : l'aide aux plus démunis, la démocratisation de la culture,
la finance éthique, la protection de l'environnement... Pas de rêver à bâtir
des lendemains qui chantent, être utopistes mais agir au présent. Hic et
nunc. Ici et maintenant."
"C'est en étant heureux de faire aujourd'hui qu'on créera un monde harmonieux pour demain. Arrêter de repousser, faire aujourd’hui." complète un participant. Le fondateur de l’organisation souligne aussi son désir d'évaluer chacune des actions entreprises. "Nous souhaitons être dans le concret. Vous allez consacrer du temps, de l'énergie à accompagner un ou des projets, nous vous devons un retour. Sur les réalisations et sur notre plus-value."
"C'est en étant heureux de faire aujourd'hui qu'on créera un monde harmonieux pour demain. Arrêter de repousser, faire aujourd’hui." complète un participant. Le fondateur de l’organisation souligne aussi son désir d'évaluer chacune des actions entreprises. "Nous souhaitons être dans le concret. Vous allez consacrer du temps, de l'énergie à accompagner un ou des projets, nous vous devons un retour. Sur les réalisations et sur notre plus-value."
Avant d'entrer dans le
vif du sujet, Eric-Axel Zimmer, qui anime la soirée, propose à chacun de faire
connaissance en petits groupes et de dire à son voisin ce qui l'a amené à être
là ce lundi soir, pour s'investir. Mon voisin de droite, élégant dans sa
chemise rose, me confie qu'il a vu récemment une émission de La Chaîne
Parlementaire avec Pierre Rabhi et que dans la foulée, il a lu plusieurs de ses
livres. "J'ai été touché par l'histoire du colibri qui durant un feu
de forêt croise un singe qui fuit. Le primate lui demande pourquoi, si frêle, il
ne s'en va pas vite fait et le minuscule oiseau de lui répondre je vais
porter une goutte d'eau pour éteindre l'incendie. Petite goutte par petite
goutte, c'est ainsi que se font les rivières et les océans. Je me suis dit
pourquoi ne pas apporter ma brique à l'édifice et expérimenter de nouvelles
approches comme celui de la sobriété heureuse prônée par le poète
agriculteur".
Mon voisin de gauche, lui, est moins littéraire. "J'ai vu le film "Human" de Yann Arthus-Bertrand à la télévision avec mon amie et j'ai été sensible à sa démarche". Un peu plus loin, d'autres parlent de la dernière vidéo virale de Nicolas Hulot sur le net ou du "Laudato Si", l'encyclique du pape François, publiée le 18 juin. Des motivations très diverses mais la même envie de se rendre utile, de ne pas céder au fatalisme ambiant, de se retrousser les manches et "opposer au pessimisme de l'intelligence l'optimisme de la volonté".
Mon voisin de gauche, lui, est moins littéraire. "J'ai vu le film "Human" de Yann Arthus-Bertrand à la télévision avec mon amie et j'ai été sensible à sa démarche". Un peu plus loin, d'autres parlent de la dernière vidéo virale de Nicolas Hulot sur le net ou du "Laudato Si", l'encyclique du pape François, publiée le 18 juin. Des motivations très diverses mais la même envie de se rendre utile, de ne pas céder au fatalisme ambiant, de se retrousser les manches et "opposer au pessimisme de l'intelligence l'optimisme de la volonté".
Une approche pratique
Passée cette
introduction visant à rappeler aux participants pourquoi ils ont poussé la
porte, vient le temps du cas pratique. Cette semaine, une sémillante
jeune femme, Stéphanie, souhaite proposer à des adolescents des camps d'été
pour les sensibiliser à l'action solidaire dès le plus jeune âge : des
camps appelés pour le moment, Engage Kids. "Au printemps dernier, j'ai
monté sur le modèle des "summer camps" américains un stage d'une
semaine autour de la nature dans la ville, avec des jeux, des visites, des
rencontres. Je souhaitais leur donner envie de protéger l'environnement
et leur inculquer un réflexe qu'ils n'ont pas toujours : celui d'aider et de
penser aux autres. Le tout en anglais, pour faire d’une pierre deux coups et
leur montrer que l'anglais ne sert pas uniquement à l'école mais à échanger, à
s'amuser. Je voudrais continuer dans cette voie et pouvoir ouvrir ce type
d'expérience à des enfants de tous les milieux."
Intelligence collective
Eric-Axel Zimmer,
spécialiste de l’intelligence collective, propose de se répartir par groupe de
six ou huit et de réfléchir aux contenus de ces formations d'été, à leur
périodicité et aux moyens de les rendre pérennes et attractifs. Chaque cercle
couche sur le papier ses idées. Tout le monde est sollicité pour prendre la parole
et échanger. Même les moins confiants. Les propos sont libres et pourtant les
conversations sont loin de celles du "Café du commerce". Les disciplines, les
âges, les diplômes, les caractères se complètent.
"Nous découvrons
le projet lors de la courte présentation de la personne qui en a eu l'idée ou
nous avons reçu un pitch quelques jours avant" me précise un membre
d'Engage. "La plupart du temps, comme nous ne sommes pas des spécialistes
de ce secteur en particulier, nous sommes vierges, sans à priori. Nous abordons
le sujet avec un regard nouveau, avec nos réflexes, qui de la com, qui de la
fiscalité ou des nouvelles technologies". Chacun fait part de son
expérience. Une mère de famille évoque des cours de cuisine pour sensibiliser à
l'agriculture biologique. Un père plus bricoleur suggèrera la construction d'un
radeau pour que les enfants soient dans le partage et fassent une oeuvre
collective de leurs mains. Une métaphore pour qu'ils comprennent qu'ensemble,
ils peuvent construire de belles choses. Un amoureux de la glisse recommande de
s'inspirer des actions de la « Surfrider foundation » ou de
l'association « Mountain riders », autrement dit, attirer les
adolescents par le biais d'activités "fun" comme le surf ou le
snowboard puis une fois qu'il y ont pris goût et qu'ils aiment leur lieu de
villégiature, leur proposer des opérations de ramassage de mégots dans la
montagne ou de plastiques sur les dunes.
"Le charme de ces échanges réside dans
leur bienveillance, avoue une habituée. Chacun apporte ses compétences. Nous
sommes dans le partage. Nous apprenons de ceux qui ont plus de
connaissances que nous sur un point donné. Les séances durent trois heures, pas
une minute en plus. Nous ne sommes pas là pour nous disperser en
querelles d'égo. Le seul enjeu ici est d'apporter un maximum de conseils
pertinents au créateur. Tout le monde a un savoir ou un savoir-faire qui peut
lui rendre service".
Une méthode, des priorités, du concret. |
Conseils et
contacts : favoriser le partage
Lors de la restitution
de son petit groupe, la benjamine, Cordelia, étudiante au Celsa, conseille
d'utiliser un logiciel qui retranscrit de manière dynamique la logique du cheminement
de chacun groupe. Certains prennent des notes pour ne rien perdre. Au
cours de la soirée, plusieurs thèmes seront abordés. "Qu'est ce qu'on
pourrait y trouver?", "Comment financer ces camps de jeunes ?", "Comment
les faire connaître ?". Une fois un aspect exploré, les
participants se déplacent, vont à une autre table, découvrent de nouveaux visages, recherchent en
fonction de leur expérience les moyens les plus appropriés pour faire décoller
le projet et contourner les écueils les plus évidents. Ils les listent par ordre
d'importance et dévoilent aux autres leurs conclusions bien souvent inattendues.
"Pour nous, porteurs de projets qui sommes souvent la tête dans le guidon, affirme Stéphanie, c'est un plus. En trois heures, nous récoltons de quoi nourrir notre projet pour longtemps. Ces conseils font du bien. On imagine discrètement notre projet dans notre coin et, tout à coup, on a plein de nouvelles pistes qui s'ouvrent à nous. On reçoit des encouragements qui nous boostent." Des participants viennent alors lui dire qu'ils peuvent donner des coups de main, qu'ils désirent faire partie de l'aventure car l'idée les séduit ou qu'ils ont des contacts qui pourraient être sensibles à sa démarche.
"Pour nous, porteurs de projets qui sommes souvent la tête dans le guidon, affirme Stéphanie, c'est un plus. En trois heures, nous récoltons de quoi nourrir notre projet pour longtemps. Ces conseils font du bien. On imagine discrètement notre projet dans notre coin et, tout à coup, on a plein de nouvelles pistes qui s'ouvrent à nous. On reçoit des encouragements qui nous boostent." Des participants viennent alors lui dire qu'ils peuvent donner des coups de main, qu'ils désirent faire partie de l'aventure car l'idée les séduit ou qu'ils ont des contacts qui pourraient être sensibles à sa démarche.
Partager ses connaissances, ses contacts, conseiller en fonction de son expérience, faire preuve de bon sens. |
"Nous n'avons pas
la prétention de refaire le monde. Nous ne sommes pas dans les grandes paroles.
Nous voulons être aux cotés de ceux qui osent, de ceux qui créent sur le
terrain. Nous sommes des créateurs contributifs, des dream makers" précise
fièrement Jérôme Cohen, le créateur de ce laboratoire qui a su fédérer en un an
des centaines de bonnes volontés. Pour l'instant, le nombre de projets
n'est pas encore significatif. Néanmoins, avec le boom de l'économie collaborative,
les changements de comportements liés à l'arrivée du numérique, ces initiatives
spontanées pourraient façonner un nouveau paysage. Tentative après
tentative, essais après essais, des pistes émergent. Pour Eric-Axel
Zimmer, cela contribue au "mindset shift", au changement des
mentalités.
Acteurs du changement
On a, au mois de
septembre, beaucoup entendu parler de la crise des intellectuels, d'un repli
sur soi, d'une absence de réflexion. Les quotidiens, les hebdomadaires,
les journaux télévisés ont déploré les prises de positions déconcertantes de
penseurs, de figures omniprésentes dans les médias qui publient livres sur
livres et qui sont réduits à sortir des petites phrases pour vendre leur
dernier ouvrage. Leur point commun : avoir près de 60 ans, réfléchir avec des
modes de pensée issus du XXème siècle, un temps où les hommes politiques
impulsaient encore le changement et être désespérément coupés des réalités.
Comme Jean-Gabriel Ganascia, les intervenants sont touchés par ces citoyens qui osent s’engager pour les autres. |
C'est une erreur. Il
existe de nombreuses personnes qui réfléchissent, se mobilisent, sur le
terrain, sans polémique. Et tentent de proposer des alternatives, expérimentent.
A Engage et dans d’autres structures qui se multiplient, on sent de l'énergie,
de l'inventivité et de l'envie. Un souffle positif. On y trouve des jeunes et
des moins jeunes qui ne ressassent pas, n'ont pas envie d'être aigris et
essayent d'imaginer d'autres voies. Hors des sentiers battus, sans gourou, loin
des discours politiques convenus et dépassés. Ils ne croient plus aux
promesses, aux partis devenus de simples tremplins pour des carrières
solitaires. En quête de sens, ils s'investissent. Autrement. lls échangent
et créent, en silence, à l'écart des radars médiatiques. Ces mouvements
ni de droite, ni de gauche, simplement citoyens, ne délèguent pas leur pensée,
en reprenant des concepts martelés par d'autres, en d'autres temps.
Ces nouveaux acteurs cherchent à leur manière par le biais de rencontres créatives à faire émerger des idées concrètes, à échelle humaine. Une intelligence collective.
Ces nouveaux acteurs cherchent à leur manière par le biais de rencontres créatives à faire émerger des idées concrètes, à échelle humaine. Une intelligence collective.
Gilles Babinet, une sommité des univers numériques distillant ses connaissances aux membres d'Engage. |
L'espoir est là. En 2015, les idées foisonnement. L'apparition et la multiplication de ces laboratoires citoyens qui sont animés par la recherche du résultat, et portés plus par l'enthousiasme que la peur, est un fait majeur. Un vent nouveau se lève. Assister à cette dynamique est encourageant, exaltant. Y prendre part est une cure de jouvence.
La prochaine session
« Engage Camp » consacrée à l’Education aura lieu lundi 14
décembre
de 19 h
30 à 23 h 00.
8-10, rue Charles V, 75004 Paris
Pour plus de détails
https://www.facebook.com/events/1763486007214348/